JUSTICE INTERNATIONALE...QUELLE JUSTICE INTERNATIONALE?(1)

Publié le par ELMIR

JUSTICE INTERNATIONALE …QUELLE JUSTICE INTERNATIONALE?(1)

 

Le procureur de la Cour Pénale Internationale (CPI) Luis-Moreno Ocampo, vient de délivrer un mandat d’arrêt contre le président soudanais, Omar EL-Bachir pour génocide et crimes contre l’humanité au Darfour. C’est du jamais vu dans l’histoire judiciaire où un président en exercice se voit inculper non pas par la justice de son pays mais par une juridiction internationale. Ce mandat d’arrêt contre un président en exercice constitue un précédent et une violation de la convention de Vienne de 1961 relative à l’immunité diplomatique dont bénéficient les Chefs d’État au cours de leurs mandats. Le gouvernement et le peuple soudanais ont naturellement opposé une fin de recevoir à la décision du CPI en manifestant leur colère dans la rue et en fustigeant une justice à deux vitesses mise au service des intérêts du néocolonialisme et de l’impérialisme. Seuls quelques opposants au régime tels que EL-Turabi et le parti de la Justice et de l’Egalité qui a récemment ouvert un bureau en Israël ont approuvé la décision de la CPI. La Ligue arabe, les États arabes ainsi que l’OUA ont également rejeté la décision de la CPI.

 

Rappelons en quelques mots l’histoire de la CPI quitte à revenir dans notre quatrième partie sur les conditions politiques de sa création. La CPI a été créée par le traité de Rome du 17 juillet 1998 lors de la Conférence diplomatique de plénipotentiaires des Nations unies. À ce jour, 106 États ont ratifié le statut de la CPI et depuis l’entrée en vigueur de la CPI le 1er juillet 2002, c’est l’Argentin Luis Moreno Ocampo qui fait office de premier procureur. Parmi les pays qui ont refusé de ratifier le statut de la CPI figurent les Etats-Unis, Israël, Russie, Chine mais aussi le Soudan. La CPI a été conçue comme une instance permanente venant suppléer les tribunaux exceptionnels comme le TPIY(tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie), TPIR(tribunal pénal international pour le Rwanda), le TSSL(Tribunal spécial pour la Sierra Léone), le Tribunal spécial pour le Liban), des tribunaux qui sont des tribunaux provisoires et dont la création est soumise à des conditions politiques. Le CPI est compétente pour juger trois sortes de crimes jugés graves commis contre les individus: génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité.  

 

Les chefs d’accusation de la CPI retenus contre le président soudanais EL-Bachir sont au nombre de sept; cinq sont qualifiés de crimes contre l’humanité et deux crimes de guerre. Les crimes contre l’humanité concernent: le meurtre, l’extermination, déplacement volontaire de populations, torture, et viol et les crimes contre l’humanité concernent des raids contre les populations civiles et le vol. La CPI reproche à El-Bachir d’être responsable pénalement des crimes commis au Darfour depuis 2003 contre des mouvements rebelles et les populations civiles. Les faits allégués remontent à avril 2003 avec le raid sur l’aéroport d’Al-Facher qui a été planifié, d’après l’accusation, par El-Bachir et des hauts responsables politiques et militaires. Pour l’exécution du mandat d’arrêt contre El-Bachir, la CPI va demander la coopération des États voisins du soudan et des États membres des Nations unies. Mais l’Éthiopie voisine du Soudan a fait savoir qu’elle ne collaborerait pas avec la CPI.

 

DROIT ET CAPITALISME

 

Pour justifier la création de la CPI, ses concepteurs évoquent l’universalité des Droits de l’Homme et du Droit international humanitaire et le respect d’une règle de droit. Ils considèrent la création de la CPI comme un instrument de nature à responsabiliser les dirigeants politiques en jouant un rôle préventif et dissuasif.

 

L’idée selon laquelle la création de la Cour Pénale Internationale est motivée par « l’universalité des Droits de l’Homme et du Droit International et le respect d’une règle de droit » est simpliste à bien des égards et elle ne résiste pas un seul instant à l’examen critique. Il faut d’emblée écarter un certain nombre de malentendus sur les concepts du droit et de la justice. D’abord, on a trop souvent associé droit et justice alors qu’il n’existe aucun rapport intrinsèque entre les deux notions. Ceux qui croient que la justice est là pour appliquer ou pour dire le droit sont le fait d’une corporation, celle des juristes fortement endoctrinée et soumise durant de longues années à un lavage de cerveaux dans les Facultés de droit. C’est cet endoctrinement qui conduit les juristes à identifier droit et justice et qui les empêche du coup de voir la vraie nature du droit qui est déterminée par les rapports de production. Il semble que le temps de faire une énième critique de la science juridique est maintenant dépassé, car tous ses postulats de base se sont effondrés comme un château de carte et que plus personne ayant un peu de bons sens ne prend au sérieux ce que raconte les juristes et les hommes de loi. Si les postulats de la science juridique se sont révélés inopérants, c’est parce qu’on a voulu dériver le droit d’une instance métaphysique, la soi-disant nature humaine immuable qui transcende l’histoire concrète des hommes et leurs conditions sociales bien déterminées. Autrement dit, ni l’État ni le droit ne peuvent s’abstraire de l’évolution historique des sociétés humaines. Plus personne ne nous fera croire que les théoriciens du droit naturel et les juristes qui s’en réclament soient capables d’expliquer et de comprendre les grandes lois d’évolution de nos sociétés. Le droit, dans ses déterminations générales, le droit en tant que forme, existe seulement dans le cerveau et les théories des juristes spécialisés et nullement dans le réel. Le droit a une histoire parallèle qui ne se recoupe pas avec la discipline juridique officielle telle qu’elle est actuellement enseignée dans les universités et les Facultés de droit. Le droit n’est pas un système de normes abstrait, il est un système particulier qui détermine les rapports contractuels des hommes; il n’est pas le produit d’un choix conscient mais il a été engendré sous la contrainte des rapports de production. En un mot, le droit moderne puise ses racines dans les rapports de production capitalistes. Car le propre du droit moderne est de créer des sujets juridiques à la fois libres et égaux. Si les hommes sont libres et égaux, ce n’est pas parce que leur nature humaine qui les rend libres et égaux mais parce que c’est le commerce juridique qui veut qu’ils soient ainsi. Ce rapport juridique qui a pour forme le contrat est l’expression des volontés à travers lesquelles se manifeste le rapport économique. Les hommes n’ont affaire les uns aux autres qu’autant qu’ils sont les propriétaires d’une marchandise. Le droit moderne est par conséquent l’expression d’un système de plein marché où les hommes deviennent effectivement libres d’aliéner leur pouvoir, à un certain prix, comme certains y sont contraints, faute de disposer des moyens de production qui leur permettraient de réaliser leur propre bien en toute indépendance. C’est bien ce type de société tout à fait distinctif qui nécessite un type de régulation juridique que Macpherson appelle « l’individualisme possessif ». L’individualisme possessif consiste à ce que les hommes sont considérés comme des propriétaires de leur propre corps, dont ils sont libres, en même temps que contraints, de vendre l’usage aux possesseurs des capitaux. C’est pourquoi la doctrine du droit naturel constitue le fondement de toutes les théories bourgeoises du droit. A une certaine époque, l’école du droit naturel fut l’expression la plus marquée de l’idéologie bourgeoise. Mais passé le XIXe siècle, l’idéologie du droit naturel semblait battre de l’aile et il a fallu la remplacer par une autre doctrine plus adaptée à l’évolution de la bourgeoisie et à la consolidation de son État de classe. Le signe de l’épuisement de la doctrine du droit naturel a été donné par le positivisme juridique et l’école normative de Kelsen qui conçoit le droit comme un système hiérarchique de normes où les normes supérieures déterminent les normes inférieures. Avec le positivisme juridique de Kelsen, le droit s’est perdu dans des artifices méthodologiques et formels-logiques stériles à bien des égards.

 

DROIT INTERNATIONAL OLIGARCHIQUE ET PLOUTOCRATIQUE

 

Sur l’existence ou non d’un droit international, les opinions divergent. Les négateurs du droit international refusent d’attribuer  au droit international le statut de droit. Outre le professeur allemand Gustav Adolf Waitz, Hans Morgenthau, principal théoricien de l’école réaliste, réagit vigoureusement contre ceux qui croient en l’existence d’un droit international. Dans son « Politics among Nations, the struggle for Power and Peace ». Hans Morgenthau considère que les États poursuivent un seul objectif: l’accroissement de leur puissance économique, politique, militaire et culturelle. Il reconnaît certes un certain rôle au droit international, à la morale et à certains mécanismes des organisations internationales mais seulement à titre de modérateurs et de frein à la volonté de puissance des Etats. Pour garder sa puissance, l’État ne doit pas hésiter à recourir à la force pour appuyer le cas échéant sa diplomatie. Celle-ci peut en effet utiliser trois moyens: la persuasion, le compromis et la menace d’user de la force. Hans Morgenthau a été influencé par l’historien allemand Treitschke et par le théologien Reinhold Niebuhr qui considère que la nature humaine étant corrompue par le péché, c’est ce qui rend les collectivités et les sociétés humaines encore plus égoïstes et plus violentes que les simples individus.  Morgenthau s’oppose à l’idée que la paix puisse être préservée par une gouvernance mondiale. Morgenthau est d’accord avec le Président Harry Truman qui voulait faire de l’Amérique la nation la plus forte et une puissance assumant un rôle de dirigeant dans les relations internationales.

 

Cette conception réaliste de Morgenthau a fait des adeptes en Europe avec le professeur anglais G. Schwarzenberger, Raymond Aron et Georges Burdeau en France. Pour ce dernier, le droit international n’est pas un véritable droit en établissant une distinction entre ceux qui conçoivent le droit international et ceux qui l’appliquent, c’est-à-dire les Etats. Une deuxième objection soulevée par Burdeau contre le droit international est l’existence de règles internationales d’origine diverse qui empêchent la formation d’un corpus cohérent et sans faille. Mais le droit international a aussi ses partisans comme G. Scelle, disciple de Léon Duguit et de Durkheim, qui a élaboré une théorie solidariste de la société internationale.

 

Mais l’erreur des partisans comme des adversaires du droit international réside dans le fait qu’ils considèrent le droit comme l’expression d’une « communauté » d’intérêt, d’idéologies, de croyances, de valeurs etc. Dans leur conception du droit international, les théoriciens du droit international éludent la question des antagonismes et des contradictions sociales. D’abord, le droit international fait partie de la superstructure idéologique et il est au même titre que le droit interne, le produit des rapports de production capitalistes. Si droit international il y a, il ne saurait être que l’œuvre d’États hégémoniques qui édictent eux-mêmes les règles du jeu et qui les imposent par la force et par la violence aux États faibles. S’il y a droit dans nos sociétés actuelles, ce n’est pas, comme affirment les juristes, par amour de la justice, la quête du juste et le respect des principes moraux mais pour maquiller par des artifices juridiques et des schémas formels, les antagonismes et les contradictions sociaux. Le droit international actuel, comme le droit interne, permet justement l’escamotage momentané des antagonismes entre les États et la dissimulation des mécanismes de l’exploitation dont sont victimes les États faibles. C’est pourquoi on peut dire avec M. Bedjaoui, que le droit international qui régit actuellement les relations entre les États, est un droit oligarchique et ploutocratique qui a été mis en place par quelques États capitalistes membres d’un club fermé pour leur permettre d’exploiter les peuples du Tiers monde. Ce sont les fondements de ce droit international oligarchique et ploutocratique que les États du Tiers-monde ont toujours cherché à remettre en cause. En vain.

 

Fin de la Première partie

 

FAOUZI ELMIR

 

Mots-clés : justice internationale, droit international, Cour pénale internationale, droit, capitalisme

Publié dans JUSTICE INTERNATIONALE

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