KARL MARX ET LA CRISE DU CAPITALISME(3)

Publié le par ELMIR

KARL MARX ET LA CRISE DU CAPITALISME

(TEXTES ET DOCUMENTS)(3)

Dans un article publié dans le New York Tribune du 22 décembre 1857, Marx nous livre ses réflexions sur la crise financière de son temps. Rappelons que la crise financière dont Marx rend compte se situe dans la suite d’une série de crises qui ont jalonné l’histoire du capitalisme européen et américain tout au long du XIXe siècle. Le lecteur remarquera que les manifestations de cette crise sont les mêmes que celles d’aujourd’hui. Celle de 1857 a pour origine une crise agricole de surproduction due à l’arrêt de l’exportation du blé américain vers le continent européen inondé par les livraisons russes après la Guerre de Crimée. Pour acheter des produits manufacturés à l’Europe, les banques américaines avaient dû emprunter massivement aux banques anglaises. La spéculation aidant, une crise de crédit s’enclenche. Mais la crise financière analysée par Marx remonte à 150 ans à l’époque où le capitalisme était encore dans sa jeunesse et dans sa phase juvénile. Aujourd’hui, les conditions ont changé et c’est la fin d’un cycle, celui d’un système trop vieux et trop usé pour pouvoir échapper au sort qui l’attend, le dépérissement et la mort. Comme ce fut le cas dans le passé de tous les empires qui le précèdent (romain, l’empire carolingien, l’empire arabo-muslman, l’empire turc, l’empire germanique, autro-hongrois), l’empire du capital(déguisé sous des termes mondialisation, globalisation etc) est condamné à mourir à son tour de sa mort naturelle sous ses propres contradictions et sous la pression des forces centripètes et centrifuges qui le traversent et qui le minent. Les dirigeants des Etats capitalistes de l’Ouest ruent actuellement dans les brancards à la recherche de solutions pour réanimer artificiellement un homme malade(par comparaison à l’empire ottoman appelé l’homme malade de l’Europe) plongé dans un coma profond. Toutes ces gesticulations médiatiques et politiques sont vaines car le système capitaliste est trop atteint et trop malade pour espérer survivre un jour. On tente désespérément de le maintenir en vie dans l’espoir de retarder son échéance et son heure fatidique. Mais aucun remède n’est assez puissant pour le ramener à la vie. À ce stade, au lieu de s’affairer et d’organiser des réunions à n’en plus finir à Paris et à Washington(G7, G20, Eurogroup, ministres des finances etc) les chefs d’Etat et de gouvernements américains et européens feraient mieux se rendre tous ensemble dans les différents lieux de pèlerinage en Europe et dans le monde, à Lourdes, à Saint Jacques de Compostelle, à Fatima, à Jérusalem, au mur des lamentations, à la Mecque etc pour des prières qui coûtent beaucoup moins chers aux contribuables et surtout pour une quête d’un miracle qui tombe du ciel ! Avant d’être balayée par le torrent de l’histoire, in ne reste à la bourgeoisie et à son pouvoir, le capital, les prières et la surprise divine. Quelle fin tragique pour une classe qui a promis au monde les idéaux de la liberté, de l’égalité et de la fraternité.

La crise financière en Europe

KARL MaRX, New-York Tribune 22 décembre 1857

 

La poste qui est arrivée, hier matin avec le Canada et l'Adriatic nous a mis en possession d'une chronique hebdomadaire de la crise financière européenne. Cette histoire peut être résumée en quelques mots : Hambourg a toujours constitué le centre fébrile de la crise qui se répercute ensuite avec plus ou moins de violence sur la Prusse et replonge par réaction le marché financier anglais dans le marasme dont il semblait sur le point de sortir. Un écho plus lointain de l'ouragan vint d'Espagne et d'Italie. La paralysie de l'activité industrielle et la misère qui s'ensuit pour la classe ouvrière gagna rapidement toute l'Europe. Par ailleurs, la relative résistance que la France a opposée jusqu'ici à la contagion pose une énigme à ceux qui s'occupent de politique économique, énigme qui serait plus difficile à résoudre que la crise générale elle-même,

On avait pensé que la crise de Hambourg aurait dépassé son apogée le 21 novembre lorsque fut fondée l’Association de Garantie de I*Escompte qui bénéficia d’un fonds d'un total de 12 millions de marks liquides afin de garantir les traites et valeurs circulant sous l’estampille de cette Association. Diverses banqueroutes et des faits tels que le suicide de l’agent en courtage Gowa montrent cependant que le mal progressait encore dans les journées qui suivirent. Le 26 novembre, la panique était de nouveau à son comble - et si Association de l'Escompte était montée d'abord sur 1a scène pour l'arrêter, c'était à présent au tour du gou­vernement d'y faire son apparition. Le 27, le Sénat fit le projet - et obtint aussi l'accord et la caution des citoyens héréditaires de la ville - d'émettre des valeurs susceptibles de porter des intérêts d'un montant de 15 millions de marks pour faire des avances sur des marchandises durables ou sur les papiers d'Etat, les avances devant se monter à 50-60 % de la valeur correspondante des marchandises gagées. Cette seconde tentative de normalisation du commerce échoua comme la première - toutes deux ressemblaient à l'appel au secours qui précède l'instant où le navire coule. La garantie de l'Association d'Escompte avait elle-même besoin - comme on le vit bientôt - d'une nouvelle garantie ; en outre, les avances de l’Etat qui étaient limitées tant pour ce qui est de leur montant que pour ce qui est des variétés de marchandises pour lesquelles elles pouvaient s*appliquer, s'avérèrent inutiles, précisément en raison des conditions dans lesquelles elles étaient consenties et ce, dans la mesure où les prix tombaient.

 

Or, pour tenir les prix et repousser de la sorte la cause proprement dite du mal, l'Etat eût dû les main­tenir tels qu'ils étaient avant que la panique commer­ciale éclate, et escompter des traites qui ne représen­taient plus rien d'autre que des maisons étrangères en banqueroute. En d'autres termes, la richesse de toute la société représentée par le gouvernement aurait dû compenser les pertes des capitalistes privés. Cette sorte de communisme, où la réciprocité est tout à fait à sens unique, semble exercer un grand attrait sur les capita­listes européens.

Le 29 novembre, vingt grandes firmes commerciales de Hambourg s'effondrèrent en même temps que de nombreuses maisons de commerce d'Altona. On suspen­dit l'escompte des traites; les prix des marchandises et des valeurs n'étaient plus que nominaux, et le monde des affaires était dans l'impasse. Il ressort de la liste des banqueroutes que cinq d'entre elles effectuaient des opérations bancaires avec la Suède et la Norvège, et l'on voit, par exemple, que les dettes de la firme Ulberg & Cramer se montent à 12 millions de marks. II y eut cinq faillites dans le commerce d'articles coloniaux, quatre dans le commerce avec la Baltique, deux dans l'exportation de produits industriels, deux dans les sociétés d'assurance, une à la bourse, une dans la navigation. La Suède dépend ainsi entièrement de Hambourg pour ce qui est de ses exportateurs, de ses agents de change et banquiers : on peut dire même que le marché de Hambourg est aussi celui de la Suède. De fait, deux jours après le krach, un télégramme annonçait que les banqueroutes de Hambourg en avaient provoqué à Stockholm et que, là aussi, un soutien du gouvernement s'était avéré inutile. Ce qui compte pour la Suède en ce domaine, compte à plus forte raison pour le Danemark, dont le centre commercial est Altona, un simple faubourg de Hambourg. On y enre­gistra de nombreuses suspensions de paiement, de la part notamment de deux très vieilles firmes - de la maison Conrad Warneke faisant commerce colonial, notamment de sucre, au capital de 2 millions de marks liquides dont les ramifications s'étendaient à l'Alle­magne, au Danemark et à la Suède, et la maison Lorent am Ende & Cie qui commerçait avec la Suède et la Norvège. Un armateur et gros marchand se suicida suite de ses difficultés d'argent.

On peut se faire une idée de l'extension du commerce de Hambourg d'après le simple chiffre suivant: des marchandises d'une valeur d'environ 500 millions de marks se trouvent actuellement en dépôt dans les entrepôts et le port au compte des négociants de Hambourg. La république recourt maintenant au seul ,,en anti-crise, en décrétant qu'il est du devoir des citoyens de payer leurs dettes. Il édictera sans doute une loi accordant un moratoire d'un mois à toutes les traites venues à échéance.

 

Pour ce qui concerne la Prusse, les journaux n'appor­tent aucune nouvelle sur la situation précaire des districts industriels de la Rhénanie et de la Westphalie, étant donné qu'elle n'a pas encore conduit à des faillites en chaîne. Les banqueroutes sont restées limi­tées aux exportateurs de céréales de Stettin et de Dantzig et à une quarantaine de fabricants berlinois. Le gouvernement prussien est intervenu, en habilitant la Banque de Berlin à faire des avances sur les mar­chandises en stock et en abolissant la législation sur l’usure. La première mesure se révèlera tout aussi inopérante à Berlin qu'à Stockholm et à Hambourg, la seconde ne fait que hisser la Prusse au même niveau que les autres pays marchands.

 

Le krach de Hambourg apporte une réponse probante :es esprits à l'imagination fertile qui voient l'actuelle crise découler artificiellement des hauts prix suscités par la monnaie de papier. Pour ce qui concerne la circulation monétaire, Hambourg constitue le pôle opposé aux Etats-Unis. L'argent métal y a seul cours. En effet, on n'y trouve pas de circulation monétaire de papier, mais on se vante au contraire de n'avoir comme moyen de circulation que de l'argent purement métallique. La panique monétaire n'y sévit pas moins violemment qu'ailleurs; qui plus est, Hambourg est devenue - depuis le début des la crise générale, dont la découverte n'est pas aussi vieille que celle des comètes - sa scène favorite. Au cours du dernier tiers du XVIIIe siècle, elle offrit deux fois le même spectacle qu'aujourd'hui, et si elle se distingue de tous les autres grands centres mondiaux du monde par un signe distinctif caractéristique, c'est que les oscillations du taux d'intérêt y sont plus fréquentes et plus violentes. Tournons-nous de Hambourg vers l'Angleterre, nous constaterons que l'atmosphère sur le marché monétaire de Londres s'est continuellement améliorée du 27 novembre au 1 décembre - jusqu'à ce qu'il eut un contrecoup. Le 28 novembre, le prix de l'argent était effectivement tombé, mais il remonta après le 1 décembre et continuera vraisemblablement de grimper, étant donné que Hambourg en a besoin de quantités considérables. En d'autres termes, on retirera de l'or de Londres pour acheter de l'argent sur le continent, et cette hémorragie renouvelée de l'or exige que la Banque d'Angleterre serre encore la vis. Outre la demande subite de Hambourg, il y a aussi la perspective pas très éloignée de l'emprunt indien auquel le gouvernement doit nécessairement consentir, même ­s'il déploie tous ses efforts pour différer la venue ce jour affreux. Le fait que de nouvelles banqueroutes se sont produites depuis le premier de ce mois, contribué à dissiper l'erreur selon laquelle le marché monétaire aurait surmonté le pire. Lord Overstone (le banquier Loyd) observait dans la séance d’ouverture de la Chambre Haute: « La prochaine tension sur la Banque d'Anglete­rre produira vraisemblablement avant que les cours de change soient épurés, et alors la crise sera plus violente que celle à laquelle nous venons d'échapper. De graves et périlleuses difficultés menacent notre pays ».

La catastrophe de Hambourg n'a pas encore été ressentie à Londres. L'amélioration de la situation du marché du crédit avait favorablement influencé le marché des produits, mais, abstraction faite de la  nouvelle   diminution de la masse monétaire, il est manifeste que la chute des prix de Stettin, Dantzig et Hambourg fera nécessairement baisser la cotation des prix à Londres. Le décret français qui abolit l'inter­diction d'exporter les céréales et la farine, a forcé les grands meuniers londoniens à baisser aussitôt leurs prix de 3 shillings par 280 livres afin d'endiguer les impor­tations de farine française. On cite quelques faillites dans le commerce des céréales, mais elles sont restées limitées â quelques petites firmes et des spéculateurs en grains qui étaient liées par des contrats de livraison à          long terme.

On n'apprend rien de nouveau des districts industriels anglais, sinon le fait que les produits cotonniers adaptés aux besoins de l'Inde et les filés fabriqués spécialement pour ce marché ont pour la première fois depuis 1847 bénéficié de prix favorables en Inde. Depuis 1847, les profits réalisés par les fabricants de Manchester dans cette branche d'activité, ne proviennent pas de la vente de leurs marchandises en Indes Orientales, mais uni­quement de la vente en Angleterre des marchandises importées des Indes Orientales. La diminution draco­nienne des exportations en direction de l'Inde depuis juillet 1857, à la suite du soulèvement, permit au marché indien de vider le stock des marchandises accumulées, et de réclamer de nouveaux approvisionnements à des prix supérieurs. Dans des conditions normales, un tel événement eût produit un effet d'animation extraordi­naire sur le commerce de Manchester. Comme nous l’apprenons de lettres privées, cela a à peine fait augmenter le prix des articles les plus demandés; en revanche, on peut appliquer de telles          quantités  de forces productives à !a fabrication de ces articles particuliers qu'elles sont suffisantes à inonder dans les plus brefs délais trois Inde avec un flot de marchandises. L'augmentation générale dès forces productives a été telle au cours de ces dix dernières années que même le travail réduit aux deux tiers de son volume dans les fabriques ne peut être maintenu qu'en accumulant d'énormes excédents de marchandises dans leurs entrepôts. La firme Du Fay & Cie rapporte, dans son bulletin commercial mensuel de Manchester, que « ce mois-ci il y a eu une pause dans les affaires, que peu de fabriques n'ont eu assez de travail et qu'en général les prix ont été bas. Jamais auparavant le montant global des affaires effectuées en un mois n'a été aussi faible qu’en novembre ».

 

Ce n'est pas le lieu ici d'attirer l'attention sur le fait que, pour la première fois en 1858, l'abolition des lois céréalières britanniques a été mise à l'épreuve de man sérieuse. Tant par l'influence de l'or australien et de la prospérité industrielle que par les résultats naturels de mauvaises récoltes, le prix moyen du blé a été plus élevé de 1847 à 1857 que de 1826 à 1836. Une  vive concurrence de l'agriculture étrangère et de ses produits devra être supportée, tandis que baisse la demande intérieure, et nous aurons probablement de nouveau une crise agraire qui semblait avoir été enterrée dans les annales de l'histoire britannique de 1815 â 1832. Il est vrai que le relèvement des prix du blé et de la farine en France qui a suivi le décret impérial, n'aura que des effets momentanés et disparaîtra même avant que l'Angleterre ait importé de grandes quantités de céréales d'ailleurs, Maïs s'il se produit une nouvelle pression le marché monétaire, la France sera obligée de jeter son blé et sa farine sur le marché anglais qui est en même temps pris d'assaut par la vente frénétique de produits allemands. Enfin, de pleines cargaisons arriveront des Etats-Unis au printemps et porteront l'ultime coup au marché des céréales britannique. Si, comme l'histoire des prix nous le laisse supposer, il y aura une succession de plusieurs bonnes récoltes, nous aurons l’occasion de suivre jusque dans le détail les conséquences véritables de l'abolition des lois céréalières - en pre­mière ligne sur les journaliers agricoles, en seconde ligne sur les fermiers, et enfin sur tout le système bri­tannique de la propriété foncière.

Publié dans CRISE

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