STRUCTURALISME, IDEOLOGIE ET POLITIQUE(II)

Publié le par ELMIR

STRUCTURALISME, IDÉOLOGIE ET POLITIQUE(II)

 

PLAN MARSHALL POUR LA FORMATION D’UNE INTELLINGTSIA ANTICOMMUNISTE

 

On l’a souvent oublié qu’à côté du plan Marshall pour aider les économies européennes à se relever des ruines de la Seconde Guerre mondiale, il a existé parallèlement un « plan Marshall de l’esprit et de la culture » pour former une intelligentsia anticommuniste et antimarxiste. A la sortie de la guerre, la CIA et les fondations philanthropiques américaines ont financé directement ou indirectement des réseaux et diverses institutions à vocation scientifiques et culturelles chargées de démarxiser les sciences humaines et d’instrumentaliser les sciences sociales. Dans l’implantation des réseaux états-uniens en Europe et l’organisation d’un « Plan Marshall de l’esprit et de la culture » qui n’est autre chose qu’une croisade contre le marxisme et le communisme, Claude Lévi-Strauss a servi de relais aidé par son poste d’attaché culturel à l’ambassade de France à New York et par sa connaissance des milieux intellectuels américains. Avec l’aide de Charles Morazé agrégé d’histoire et collaborateur des Annales, Claude Lévi-Strauss a obtenu des fondations Ford et Rockefeller le financement des projets de formation des étudiants français dans les universités américaines. Charles Morazé qui avait déjà rencontré John Marshall et l’autrichien Clemens Heller étaient les deux principaux promoteurs du « Plan Marshall de l’esprit ». Les relations de Lévi-Strauss avec ces deux fondations Rockfeller et Ford remontaient à l’année de 1940 quand des membres des fondations Ford et Rockefeller avaient alors organisé son exil aux Etats-Unis ainsi que celui du sociologue Georges Gurvitch et du physicien Pierre Auger. Dès son arrivée aux Etats-Unis, Georges Gurvitch a créé à New York un institut de sociologie.(Sur l’instrumentalisation des sciences sociales en France, voir l’article de Bertrand Chavaux dans Voltairnet, 7 juillet 2004).

 

Les sciences sociales étaient en ligne de mire des fondations philanthropiques américaines. La fondation Rockefeller créée en 1913 a voulu prendre sa part dans la lutte contre le socialisme et le marxisme en finançant des projets et des institutions en sciences sociales qui, grâce à leurs outils d’analyse et leurs méthodes d’enquête empirique, sont considérées comme un enjeu de contrôle social et de manipulations mentales des masses. C’est pour instrumentaliser les sciences sociales que la fondation Rockefeller a participé au financement aux Etats-Unis et en Europe, des projets dans plusieurs universités américaines(Yale, Harvard, Chicago, Columbia), la Deutsche Hochschule für Politik à Berlin et le London School of economics qui accueillait des économistes venant de la Société du Mont-Pèlerin comme Ludwig von mises et son élève Friedrich von Hayek. La fondation Rockefeller a aussi financé l’institut scientifique de recherche économiques et sociales dirigé par Charles Rist qui avait reçu 350 000 dollars ; le centre universitaire de la recherche sociale, présidé par le Recteur Charléty qui avait reçu 166 000 dollars ; le Centre d’études de politique étrangère, un autre organisme dirigé par le Recteur Charléty qui avait reçu 172 000 dollars. Avant la Seconde Guerre mondiale, la fondation Rockefeller avait permis au Centre de documentation sociale de créer deux postes de chercheurs à plein temps l’un pour Raymond Aron et l’autre pour Georges Friedman.

 

Avec l’aide des fondations Rockefeller et Ford, Pierre Auger était parti pendant la guerre aux Etats-Unis où il avait enseigné à l’université de Chicago. Nommé directeur de l’enseignement supérieur après son retour en France en 1945, Pierre Auger s’est heurté à l’opposition du Prix Nobel Frédéric Joliot, communiste et pacifiste, pour le contrôle du Centre National de la Recherche scientifique(CNRS). Devant l’obstruction de Joliot, Pierre Auger avait alors créé le Centre à l’Energie atomique(CEA) et un pôle des sciences sociales rattaché à l’Ecole Pratique des Hautes études(EPHE), devenu plus tard la VIe section. Pour animer celle-ci, Auger fait appel aux collaborateurs des Annales(Morazé, Friedman, Braudel, Labrousse, le Bras). En 1954, avec l’aide de l’autrichien Clemens Heller désormais établi en France, la VIe section a reçu de nouveaux crédits pour financer des programmes de recherche sur les « aires culturelles ». En 1959, la fondation Ford appuie et finance le projet de Pierre Auger pour la création du Centre européen de recherche nucléaires(CERN) et pour la construction de la Maison des sciences de l’homme. En 1975, la VIe section devenue une structure juridique autonome, s’est transformée officiellement en l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales(EHESS) présidée par l’historien anticommuniste François Furet. Depuis, l’EHESS reçoit un financement de l’Etat français, du département d’Etat américain(Bourses Fulbright) et de la Fondation franco-américaine de New-York, une officine créée en 1976 par la CIA.

 

Outre l’apport financier des fondations philanthropiques, la CIA et le plan Marshall ont participé au financement d’une myriade de réseaux et d’institutions culturelles voués à la formation d’une intelligentsia anticommuniste. C’est le cas du Congrès pour la liberté de la culture créé à Berlin en 1950 par des intellectuels européens et américains avec pour membres fondateurs James Burnham, Raymond Aron et Michel Crozier. Le comité de soutien du Congrès comprenait des personnalités comme le philosophe allemand Karl Jaspers, le socialiste Léon Blum, des écrivains comme André Gide et François Mauriac, des universitaires comme Raymond Aron, des intellectuels américains comme James Burnham et Sidney Hook, des anciens trotskistes américains comme Sol Levitas et Eliot Cohen, des partisans de l’Europe fédérale comme Altiero Spinelli et Denis de Rougemont et des théoriciens des  New York Intellectuals. Le Congrès pour la liberté de la culture est devenu le lieu de rencontre et de rassemblement de l’intelligentsia anticommuniste européenne et américaine animée par des conservateurs, des libéraux, des socialistes et des anciens trotskistes. Financé discrètement par la CIA pendant dix-sept ans jusqu’en 1967, le Congrès pour la liberté de la culture avait noué des relations avec des hauts responsables de l’administration américaine et de la direction du plan Marshall, mais aussi avec l’American Committee for United Europe(ACUE), une officine de  propagande anticommuniste créée avec le soutien d’hommes politiques américains comme Robert Paterson, secrétaire à la guerre et Paul Hoffman, pour favoriser la création d’une Europe fédérale conforme aux intérêts des Etats-Unis.

 

Le Congrès pour la liberté de la culture finançait des programmes de recherche et des bourses d’études. Quand la nouvelle élite européenne endoctrinée dans les universités américaines revenaient en Europe, elle créait des revues, organisait des séminaires et mettait en place des programmes de recherche et des réseaux informels dans les universités européennes. Ces réseaux culturels qui ont servi de relais et d’officines dans la lutte contre le communisme pendant la Guerre froide ont continué à jouer un rôle actif même après la dissolution de du Congrès pour la liberté de la culture. Ces différents réseaux et relais culturels ont contribué à leur manière dans l’avènement et le triomphe de l’archéo-libéralisme et de la révolution conservatrice américaine avec l’arrivée de Ronald Reagan à la Maison Blanche. La débâcle actuelle du capitalisme et l’aveu même de George Bush de la faillite de la sacro-sainte loi du marché mettent fin aux illusions des tenants de la Révolution conservatrice et de l’archéo-libéralisme.

 

En 1967, Thomas Braden, chef de la Division internationale d’opposition au communisme à la CIA avait publiquement confirmé la participation de son organisation au financement des activités du Congrès pour la liberté de la culture. Dissout après les événements de mai 68, le Congrès pour la liberté de la culture a continué ses activités sous le nom de l’Association internationale pour la liberté de la culture avant de cesser d’exister en 1975 lors de la signature des accords d’Helsinki. 

 

FAOUZI ELMIR

 

TROISIEME PARTIE : ORIGINES IDÉOLOGIQUES ET POLITIQUES DU STRUCTURALISME

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