STRUCTURALISME,IDEOLOGIE ET POLITIQUE(III)

Publié le par ELMIR

STRUCTURALISME, IDÉOLOGIE ET POLITIQUE(III)

 

ORIGINES IDÉOLOGIQUES ET POLITIQUES DU STRUCTURALISME

 

Le structuralisme était conçu comme une arme dirigée contre la théorie marxiste de l’histoire et les marxistes ne s’y sont guère trompés. C’est Roland Barthes qui résume parfaitement la situation quand il écrit « il semble bien que la principale résistance au structuralisme soit aujourd’hui d’origine marxiste et que ce soit autour de la notion d’histoire qu’elle se joue »(Lettre nouvelle, février 1963). Pour s’attaquer à la théorie marxiste de l’histoire,  il faut commencer par démolir le concept des deux classes antagonistes. Rappelons sommairement comment sont déterminées les classes sociales dans le mode de production capitaliste. La division de la société en classes sociales résulte de son développement économique qui distribue les acteurs sociaux en deux places fondamentales : une place de dominant et d’exploiteur et une classe de dominé et d’exploité. La cause de cette polarisation est due au rapport différent vis-à-vis des moyens de production qui déterminent le rôle de chacune des deux classes dans l’organisation sociale du travail, des modes d’obtention et l’importance de la part des richesses dont dispose chaque classe. Les classes exploiteuses aspirent à maintenir et à renforcer leur position dominante sur le plan économique ; elles travaillent constamment à satisfaire sa soif d’exploitation en augmentant toujours plus l’exploitation, c’est-à-dire le profit. la classe exploitée qui n’a que sa force de travail à vendre aux capitalistes n’a qu’une solution pour échapper à son sort : lutter contre l’oppression économique et politique de la classe exploiteuse. Dans la société de classes, la lutte de classe est inévitable et cette lutte antagoniste trouve son expression dans les heurts violents entre dominants et dominés. La lutte de classe est le moteur du développement de la société et sa transformation qualitative.  De ce qui précède, deux principes peuvent être dégagés : 1° les classes sociales sont des groupes sociaux déterminés par leur place dans le procès de production ; 2°) les classes sociales n’existent que dans la lutte des classes.

 

Ce sont justement ces deux principes qui ont été constamment pris pour cible par les adversaires de Marx. Incapables de mener une attaque frontale contre le matérialisme historique, ces derniers utilisent des stratagèmes, des jongleries et des méthodologies douteuses dans l’espoir de réfuter le schéma marxiste des deux classes et donc en dernier lieu, la lutte des classes. Dans l’esprit de ses promoteurs, le rôle du structuralisme consistait à montrer que ce ne sont pas l’histoire et la lutte des classes qui ont le dernier mot mais le système. L’éclipse du marxisme par le structuralisme durant la période de l’après-guerre et plus tard par l’archéo-libéralisme depuis le début des années 1980, ne doit en aucun cas être attribuée à une réfutation de la théorie marxiste de l’histoire, loin s’en faut mais à une guerre de reconquête de l’hégémonie idéologique financée par la CIA, les fondations philanthropiques américaines et un plan Marshall de l’esprit visant à instrumentaliser les sciences sociales et à former une intelligentsia anticommuniste et antimarxiste(voir structuralisme, idéologie et politique(II).

 

S’il faut remonter aux origines idéologiques et politiques du structuralisme, on trouve indéniablement la croisade anticommuniste du Congrès pour la liberté de la culture. En effet, c’est l’un des fondateurs du Congrès pour la liberté de la culture, et théoricien de l’ère technicienne, James Burnham, qui a jeté les bases de l’idéologie structuraliste en publiant en 1941, le managerial revolution dans lequel il annonçait l’échec économique et idéologique de l’Union soviétique et l’avènement  d’une nouvelle ère, « l’ère des managers ». C’est son ami et membre fondateur du congrès pour la liberté de la culture, Raymond Aron, qui a fait traduire le livre en 1947 sous le titre « l’ère des organisateurs »,  avec une préface du socialiste Léon Blum. Pour Burnham et ses disciples, il n’y a plus de différence entre les sociétés de l’Est  et celles de l’Ouest, car dans les deux cas, c’est une nouvelle classe dirigeante qui prend le pouvoir politique et économique et ce sont désormais, les directeurs et les techniciens qui remplacent les anciens propriétaires. Au capitalisme sauvage du XIXe siècle, succède un capitalisme réglementaire bardé de lois sociales. Le pouvoir politique n’est plus concentré entre les mains de quelques uns mais un pouvoir éclaté en une myriade de pouvoirs partagés, autonomes et libérés. Les sociétés actuelles sont entrées dans l’ère «  post-industrielle », celle de la « technobureaucratie » et de la « technostructure » selon Galbraith. C’est l’époque de la big corporation, la grande entreprise fondée sur une séparation radicale entre la « propriété » des moyens de production et les « pouvoirs de décision » qui se trouvent désormais entre les mains des agents-managers devenus la « nouvelle classe » dominante. Le capitalisme franchit ainsi une nouvelle étape de son histoire, celle des structures rationnellement et scientifiquement établies. L’homme structural est tout sauf un passéiste, car son histoire se réduit au présent et au futur.

 

L’interpénétration du politique et de l’idéologique conduit à un glissement de l’idée de l’ère technicienne devenue la doctrine officielle du Congrès pour la liberté de la culture vers la rhétorique de la Troisième voie et la « fin des idéologies ». C’est Daniel Bell, membre du Congrès pour la liberté de la culture qui a été l’auteur de la théorie de la fin des idéologies. Grâce à Daniel Bell, des bourses d’études ont été octroyés à des jeunes étudiants européens pour étudier dans les universités américaines. C’est Daniel Bell qui a aidé Michel Crozier à obtenir une bourse d’études à l’université de Stanford. Crozier est le type même de l’intellectuel européen endoctriné par l’université américaine, devenu avec Raymond Aron l’un des idéologues de la Troisième voie et du Club Jean Moulin. Les disciples de Burnham et de Bell fondaient des revues, organisaient des conférences et occupaient des postes d’autorité dans les universités européennes transformées à l’occasion en tribune pour la diffusion et la vulgarisation des idées de l’ère technicienne, de la fin des idéologies et de la Troisième voie. En 1953, Crozier, qui fut l’un des collaborateurs de la revue Esprit, avait publié un article critiquant l’intelligentsia de gauche.

 

C’est Raymond Aron qui a importé en France les idées de l’ère technicienne, de la fin des idéologies de ses amis James Burnham et Daniel Bell. Son ouvrage « l’Opium des intellectuels » est un appel aux intellectuels de gauche pour se détourner du communisme soviétique. Son livre « Dix-huit leçons sur la société industrielle » est une vulgarisation des idées de son ami Burnham sur l’uniformisation des sociétés capitalistes et des sociétés communistes. Nommé en 1955 professeur à la Sorbonne, Aron a contribué à la vulgarisation des principaux thèmes des New York Intellectuals, le think tank du Congrès pour la liberté de la culture. Ses ouvrages sont devenus la bible de l’intelligentsia  anticommuniste. Grâce ses séminaires à la Sorbonne, puis à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et au Centre de sociologie européenne, Aron s’est fait des disciples comme Pierre Hassner, Jean-Claude Casanova, Jean Baechler, Annie Kriegel, Alain Besançon, Pierre Manent, François Bourricaud, Georges Liebert, Jérôme Dumoulin. Aron et ses partisans se sont farouchement opposés au mouvement étudiant de mai 68 qualifié de « petite révolution » et de « carnaval estudiantin ». Après l’éclatement du scandale du financement du Congrès pour la liberté de la culture en 1967, la revue Preuves qui diffusait les idées du Congrès pour la liberte de la culture a été remplacée par une autre revue, Contrepoint, dirigée par l’un des fidèles d’Aron, Georges Liebert et la collaboration de Pierre Manent. En 1978, Aron fonde la Revue Commentaire dirigée plus tard par deux de ses disciples Jean-Claude Casanova et Pierre Hassner. Aron a séduit d’autres intellectuels en vue comme Edgar Morin, Georges Friedman ou Jean-Claude Domenach.

 

On pense souvent que le triomphe d’une idéologie est dû à sa cohérence logique. C’est une grave erreur. Pour qu’une idéologie triomphe, il faut d’abord et avant tout des conditions idéologico-politiques favorables. Ce qui est à l’intérieur de l’idéologie n’a aucune importance et il n’existe aucun rapport de cause à effet entre la pertinence théorique et méthodologique de son contenu et son triomphe éventuel. L’exemple du structuralisme est assez éloquent à cet égard, car ce qui a décidé de son existence académique et médiatique, ce n’est pas sa scientificité mais la crise de l’idéologie bourgeoise à la libération. C’est en effet la vacuité idéologique qui prévalait après la fin de la Seconde Guerre mondiale dans le monde capitaliste qui explique la mode structuraliste en général et l’anthropologie structurale de Lévi-Strauss en particulier.

 

 

FAOUZI ELMIR

 

QUATRIEME PARTIE : LE RELATIVISME CULTUREL DE CLAUDE LEVI-STRAUSS

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