DESTRUCTION DE L'UNIVERSITE
DESTRUCTION DE L’UNIVERSITÉ
Depuis deux mois, les étudiants sont en grève en France et des universités sont bloquées. Pourtant, personne n’en parle et quand les mass medias évoquent ce sujet, c’est pour donner la parole à des présidents d’université aux ordres et pour faire entendre la voix des non grévistes. Alors que nous sommes abreuvés 24H/24H de reportages sur les flics, les affaires criminelles et les faits divers(genre chiens ont mordu des vieilles ou des vieilles ont mordu des flics). Ce silence radio sur la grève des étudiants qui s’opposent à la réforme Pécresse s’inscrit dans la logique de la propagande politique du gouvernement qui privilégie la question de la violence instrumentalisée pour faire oublier les problèmes pressants et stressants de la vie quotidienne qui sont le chômage, la précarité, la pandémie de la misère et l’extension de la pauvreté. Si, malgré l’approche de la période des examens de fin d’année, les étudiants ne relâchent pas la pression et ne désarment pas, c’est parce que les enjeux sont bien trop importants pour qu’ils se contentent comme à l’accoutumée de vaines promesses. Les étudiants ont bien raison de se rebiffer, car leur avenir se joue aujourd’hui avec cette ennième réforme de l’université qui sonnerait le glas d’une institution née à Paris en 1221 et dont la mission première est de former des PENSEURS et non pas de préparer les futurs PIONS de l’économie et d’un système politique.
ORIGINES MÉDIÉVALES DE L’UNIVERSITÉ :
L’histoire de l’université commence avec la révolte et la lutte des maîtres et des étudiants contre la tutelle du pouvoir civil et de l’autorité religieuse. La naissance de cette corporation est due à une longue lutte contre la mainmise intellectuelle de l’Eglise et de la royauté. Les termes employés pour désigner cette communauté qu’est l’université sont consortium, communitas, et finalement universitas, un terme apparu en 1221. Ces mêmes termes appartiennent aux communautés de métiers, aux confréries religieuses et aux habitants d’un même quartier. L’université des maîtres et des étudiants habitants à Paris portaient le nom de l’universitas magistrorum et scolarium parisius commorantium. Ce vocabulaire désigne l’autonomie d’une institution dont les membres, maîtres et étudiants, luttaient pour leur autonomie intellectuelle et pour leur liberté de pensée à l’égard du roi et de l’évêque de Paris. L’université, comme toute corporation et comme toute commune, édicte des statuts et des règlements, assure la sécurité de ses membres et faire régner l’ordre et la paix. La police des idées appartient désormais aux maîtres qui, pour pouvoir enseigner, doivent être nécessairement titulaires de la licentia docendi.
L’université médiévale est une fédération d’écoles indépendantes les unes des autres, enseignant chacune d’elles une discipline et dispensant une formation étalée sur plusieurs années. Les facultés désignent d’abord la matière enseignée, puis l’ordre des études et enfin la formation d’une même discipline groupant maîtres et étudiants. Dès l’âge de 14 ans, des écoliers peuvent s’inscrire à la faculté des arts et suivre des enseignements des arts libéraux traditionnels. La faculté des arts joue le rôle de propédeutique et de formation intellectuelle grâce à la culture générale qu’elle dispensait. Au sein de chaque faculté, les maîtres et les étudiants étaient divisés en nations (il y en avait quatre à la faculté des arts de Paris, les anglais, les français, les Picards et les Flamands). Chaque nation désigne un procureur et les procureurs désignés élisent un recteur qui est l’équivalent du Président de l’université. Le recteur dispose de pouvoirs étendus et en cas de conflit avec les pouvoirs civils et religieux, il représente l’ensemble de l’université. Il ixe le loyer des logements et le prix de location des livres.
L’enseignement à la faculté dure entre cinq ou six ans au termes desquels un examen est organisé et un grade est attribué à l’étudiant. Les bacheliers qui sont en même temps des étudiants et assistants subissent un examen devant un jury formé par les membres des différentes nations et non pas seulement par le maître de l’école dans laquelle il a fait ses études. Si le bachelier est jugé apte par les membres du jury juge, il doit soutenir dans le courant de l’année une déterminance, c’est-à-dire une dispute sur un sujet de son choix. Cet exercice se déroule sous la responsabilité du maître régent de l’école. Le temps d’étude est divisé en deux parties : le matin qui est le temps des bacheliers est réservé aux exercices et aux corrections et l’après-midi à l’enseignement du maître. Il n’y a pas de vacances scolaires mais l’on assiste à une période de ralentissement et de baisse d’activité à l’approche de l’été du va du 29 juin au 14 septembre.
Les méthodes d’enseignement comprend la lectio et la disputatio. La lectio, fondement de l’enseignement universitaire, est un travail de fragmentation logique d’un texte chapitre, par chapitre, avec l’intention de l’auteur et son originalité.
Mais progressivement le commentaire glisse vers la dispute et aboutit à une questio, c’est-à-dire à une mise en question, à un débat sur une affirmation d’un texte. Pour son exercice oral, le bachelier utilise la disputatio, la dispute, l’équivalent oral de la questio. Le maître choisit à l’avance un sujet et organise une séance de dispute à laquelle participent tous les bacheliers et les régents des facultés. Le bachelier présente d’abord sa thèse contre laquelle s’élèvent les objections des adversaires. Pour répondre à celles-ci que le bachelier à argumenter en opposant ses propres réfutations. Avec la dernière réponse à la dernière objection se termine la dispute. À la fin de celle-ci, le maître doit reprendre et mettre de l’ordre dans le sujet disputé fin d’en tirer un exposé cohérent. À côté de la dispute apparaît un autre exercice, le quodlibet où c’est l’assistance qui choisit les questions qu’elle entend traiter par le maître.
LE RÔLE DE L’UNIVERSITÉ DANS L’ÉCLOSION DE LA SCIENCE
Je voudrais réfuter ici l’idée largement répandue par les historiens des sciences selon laquelle les précurseurs de la science sont des astronomes comme Copernic et Kepler et des mécaniciens comme Galilée et Newton. Dans le cadre de cet article, je m’efforce d’être le plus concis possible quitte à renvoyer le lecteur à un ouvrage que j’ai publié en 2005 « Origines médiévales de la science ». Depuis, cet ouvrage est épuisé et, suite à la demande de nombreuses bibliothèques universitaires en France et à l’étranger, je compte le rééditer pour être disponible de nouveau. La nouvelle édition sera une édition revue, corrigée et modifiée en procédant à la correction des erreurs et des imperfections qui ont dû entacher d'une manière ou d'une autre la lisibilité et la compréhension du texte. La clarté dans l’exposition des idées, c’est le minimum syndical que doive un auteur consciencieux à son lecteur. Les quelques idées produites sur le rôle de l’université dans l’éclosion de la science sont extraites des chapitre IV, V et VI de l’ouvrage en question.
L’historiographie scientifique inspirée par le positivisme et le schéma des trois âges de l’humanité est dominée par une vision évolutionniste et généalogique en établissant des limites chronologiques et des frontières entre science, théologie, métaphysique. Elle fait de Copernic, de Kepler, de Galilée et de Newton les précurseurs de la science. La science est née d’un long cheminement commencé par la libération progressive des conceptions théologiques et métaphysiques. La science se différencie des autres domaines de la culture par ses moyens de démonstration rationnels et par l’application des mathématiques et de la méthode expérimentale à l’étude des phénomènes naturels. Cette vision des trois âges de l’humanité véhiculée par l’historiographie scientifique est trop simpliste pour être vraie, car on ne voit pas où commencent et où s’arrêtent les frontières de la science, de la métaphysique et de la théologie. La Révolution scientifique inaugurée par le nouvelle astronomie de Copernic et de Kepler et développée par la mécanique de Galilée et de Newton se situe dans le sillage des spéculations et médiévales visant à apporter des nouvelles preuves rationnelles dans une guerre sans merci entre des théologiens orthodoxes et théologiens en désaccord avec les interprétations cosmologiques de la Bible. Les pionniers de la Révolution scientifique des XVI et XVIIe siècle étaient des hommes croyants voire des mystiques et continuaient en quelque sorte la « révolution scientifique » du Moyen âge, initiée par les chartrains, saint Thomas, Buridan, d’Occam et d’Oresme. La dynamique galiléenne et la mécanique céleste de Newton puisent leurs origines dans les thèmes de la scolastique médiévale et de la théologie naturelle nés dans le sillage des débats entre théologiques et dialecticiens sur la nature de Dieu.
Avec la création des universités médiévales, ce sont de nouveaux outils intellectuels qui apparurent et qui permirent de créer une dynamique intellectuelle faisant voler en éclat les anciens cadres de la théologie et débordant les frontières des disciplines et de l’enseignement scolaire héritées des écoles du haut Moyen Âge. C’est au sein des universités créées un peu partout en Europe que se sont forgées des nouvelles techniques argumentatives permettant l’intrusion dans le domaine de la théologie dogmatique, de nouveaux thèmes surtout le thème de la nature et de nouveaux espaces épistémologiques comme les mathématiques, l’astronomie et les principaux concepts de la philosophie naturelle (mouvement, cause, finalité etc.). L’émergence de nouveaux champs épistémologiques, d’abord en marge des débats théologiques et des discussions sur la nature de Dieu et du Christ a eu pour principale conséquence, l’intrusion dans le domaine de la théologie dogmatique des notions à connotation métaphysique telles que mouvement, cause, finalité, matière et forme, acte et puissance etc. Cette pénétration de la métaphysique dans le domaine de la théologie a été a rendue possible grâce à à l’exacerbation des luttes politiques ayant entraîné une situation argumentative explosive nécessitant de la part des défenseurs de l’orthodoxie et de leurs détracteurs, la mobilisation tous azimuts de nouveaux arguments et de nouvelles ressources textuelles puisées en dehors de la Bible et la cosmologie biblique L’appel à la phusis, la nature et à l’observation de ses phénomènes physico-chimiques, à l’astronomie et à la cosmologie, à la météorologie et à l’optique, à la mécanique et au magnétisme, à la géologie, à la biologie était une manière de renforcer les arguments des théologiens mis à mal par les critiques des hérétiques et des dialecticiens. Les preuves morales, cosmologiques, scripturaires et bibliques relayées plus tard par des preuves linguistiques et logico-sémantiques, étaient progressivement concurrencées par des preuves philosophiques et des preuves ontologiques. C’est la question des preuves de l’existence de Dieu posée et discutée incessamment par la couche intellectuelle, cléricale et laïque, qui a entraîné la théologie dans une impasse en voulant traiter un problème relevant uniquement du domaine de la foi et de la croyance, à l’aide d’instruments profanes comme ceux fournis par la dialectique et la logique. Ce sont les discussions entre théologiens et dialecticiens qui ont révélé aux défenseurs de l’Eglise, l’insuffisance et la fragilité de leurs moyens de preuve face à leurs adversaires. Pour combattre ces derniers avec les mêmes armes, les théologiens étaient amenés à leur tour à rechercher d’autres preuves plus convaincantes disons plus « rationnelles », et à élaborer des méthodes de raisonnement et des règles de démonstration faisant appel à l’observation des phénomènes naturels comme les astres qui, grâce à la régularité et à l’uniformité de leurs mouvements apparents, témoignent de l’existence d’un Dieu tout puissant.
A SUIVRE…
FAOUZI ELMIR
Mots-clés : université, Moyen Âge, commentaire, dispute, méthodes d’enseignement, corporation, théologie naturelle, dialectique, éducation, étudiants, formation, sciences humaines, culture.