PRIX NOBEL : SCIENCE OU IDEOLOGIE ?

Publié le par ELMIR

LE PRIX NOBEL: SCIENCE OU IDEOLOGIE?

 

Ce texte est un résumé d'un article à paraître dans le Bulletin de l'Internationale. Il a été rédigé depuis quelques semaines dans la perspective de l'attribution des prix Nobel au début du mois d'octobre de chaque année. C'est l'occasion de faire le point sur une institution qui, au-delà des prix Nobel de la littérature et de la paix qui représentent le volet relations publiques de la fondation Nobel, a cautionné dans le passé l'eugénisme des années vingt et trente du XXe

et aujourd'hui les politiques libérales qui ne sont au fond que la résurgence de la première période du darwinisme social des années 1859-1883.

 

Tous les ans au mois d'octobre depuis 1901, les prix Nobel sont décernés à des scientifiques et non scientifiques, en récompense de leurs efforts pour les bienfaits de l'humanité. Ce rituel immuable est l'occasion pour nous de faire un retour sur une institution où il est difficile de faire la part de la science et celle de l'idéologie. D'abord, l'oeuvre même de son fondateur, Alfred Nobel qui, faut-il le rappeler, fut l'inventeur de la dynamite, première génération d'armes de destruction massive. Ensuite, l'attribution des prix Nobel aux physiciens de l'atome a encouragé les recherches dans le domaine de la physique atomique qui a débouché sur la mise au point de cette arme redoutable qu'est la bombe nucléaire de l'arme atomique qui a fait 80 000 morts à Hiroshima et 40 000 morts à Nagasaki. Enfin, le rôle joué par la fondation Nobel dans la propagation de l'eugénisme qui professe la hiérarchie et la sélection sociale et qui a conduit à son tour à des lois eugénistes meurtrières envoyant à la mort des centaines de milliers de morts sacrifiés au nom du principe sacro saint de la sélection naturelle. Certes, les anciens prix Nobel qui avaient cautionné par leur autorité scientifique les lois eugénistes du nazisme et du fascisme ne sont plus là, mais la fondation Nobel continue à encourager ces idéologies ségrégationnistes dont la dernière en date est celle du libéralisme qui, contrairement à ses défenseurs, n'est synonyme ni de la liberté de l'individu ni des droits de l'Homme mais de la sélection sociale et l'élimination des plus faibles socialement et économiquement. En attribuant en effet en 1976 le prix Nobel de l'économie à Milton Friedman, la fondation Nobel a largement contribué à la résurgence du premeir âge darwinisme social et son principe de la sélection naturelle. Rappelons pour mémoire que la récompense attribuée à Milton Friedmann intervenait deux ans après le coup d'État au Chili contre le socialiste Salvador Allende et l'arrivée au pouvoir du général Pinochet qui, comme chacun le sait, avait inauguré la sinistre ère des politiques libérales inspirées par le monétarisme de son mentor américain nobélisé. Il n'y a donc rien d'étonnant dans ces orientations eugénistes et darwiniennes de la fondation Nobel surtout quand on sait que c'est en Suède que le nombre de femmes et d'hommes stérilisés était le plus élevé en Europe et que les lois eugénistes continuaient à sévir même durant les années 1960.

 

ALFRED NOBEL ET SA FONDATION

 

Le prix Nobel est l'héritage d'un industriel et chimiste suédois, Alfred Nobel né en 1833 et mort en 1896. Alfred Nobel était l'homme providentiel pour l'expansion du capitalisme chez lui et chez les autres. Grâce à Alfred Nobel, le problème des sources d'approvisionnement en azote a été résolu en réussissant en 1866 à fabriquer un nouvel explosif, appelé dynamite dans l'usine familiale de son père, Emmanuel Nobel à Stockholm, à base de nitroglycérine. La production de la dynamite vendue sous forme de poudre avec un détonateur à base de fulminite de mercure était passée de 11 tonnes par an en 1867 à 1350 tonnes en 1872. Pour l'extension des marchés et l'ouverture des contrées lointaines jadis séparées les unes des autres, la dynamite avait permis de vaincre les obstacles naturels, percer des montagnes, creuser des tunnels, des canaux, des ponts et des viaducs, construire des routes empierrés avant la découverte du goudron. Pour l'expansion de l'impérialisme, Nobel était aussi l'homme qu'il fallait pour la domination militaire européenne dans les pays convoités en fabriquant de nouveaux explosifs nitrés beaucoup plus meurtriers que ceux fabriqués jadis avec de la vieille poudre noire. Il mit au point la mélinite en 1866 fabriquée à base de trinitrophénol et utilisée par l'armée française et le TNT(trinitrotoluène) fabriqué par l'Allemagne. Le premier signe du grand « génie » d'Alfred Nobel s'est manifesté par les millions de morts laissés sur les champs de bataille durant la Première Guerre mondiale.

 

Grâce à son génie d'inventeur avec 355 brevets d'inventions à sa mort et d'homme d'affaires avisé, Nobel réussit à amasser une fortune colossale en créant treize usines en Europe et deux aux États-unis et en contrôlant le marché de la dynamite par la création de deux holdings internationaux. Sa fortune lui permit ainsi de prévoir par testament et après de longues disputes entre les héritiers, l'attribution de 32 millions de couronnes suédoises à une fondation chargée de distribuer un prix annuel dans quatre domaines: physique et chimie, médecine, littérature et la paix. En 1968, la banque de Suède a créé à la mémoire d'Alfred Nobel, un prix Nobel de l'économie. Les demandes d'attribution des prix de physique et de chimie sont examinées par l'Académie royale des sciences de Suède, celles de médecine par l'institut Karolinska, celles de la littérature par l'Académie de Suède, celles de l'économie par l'Académie royale des sciences de Suède et enfin celles de la paix par le comité Nobel norvégien.

 

Le processus de sélection se déroule de la façon suivante: les cinq comités de la fondation Nobel transmettent tous les ans aux chercheurs du monde entier une invitation leur demandant de suggérer les candidatures de leur choix. Les dossiers reçus par les comités sont confiés à une équipe de spécialistes dans chacune des disciplines concernées. Parmi les candidatures reçues, le comité sélectionne d'abord celles qu'il estime les plus aptes et les méritantes et il transmet ensuite ses recommandations à l'organe de la fondation Nobel chargé d'attribuer le prix. Les membres de l'Assemblée de la fondation votent pour désigner le récipiendaire du prix Nobel. Les prix Nobel sont attribués tous les ans au début du mois d'octobre et les cinq premiers prix Nobel ont été décernés en 1901.

 

SCIENTISME DE LA FONDATION NOBEL

 

La fondation Nobel prétend récompenser des scientifiques ayant contribué par leurs travaux aux bienfaits de l'humanité mais elle s'est gardée bien de se demander si la science qu'elle souhaite encourager est de nature à produire des connaissances et si oui à qui profitent-elles ? Nous ne parlerons ici que des matières scientifiques en laissant de côté les prix Nobel de la littérature et de la paix qui relèvent plus du marketing politique que de la science proprement dite.

 

Nous l'avons vu, le mode de sélection des candidats aux prix Nobel se fait par les membres de la communauté scientifique. Les candidats sélectionnés dans chaque discipline sont proposés par leurs collègues au vu de leurs travaux publiés dans les revues spécialisées et de leurs différentes contributions dans des colloques et des conférences organisées périodiquement pour faire le point sur l'état de la recherche en cours. La sélection des candidats aux prix Nobel se fait donc en circuit fermé entre des hommes formant un groupe social. Pour le néophyte qui entend parler de science, de scientifiques, de laboratoires, d'unité de recherche etc, il pense immédiatement à ces lieux prestigieux où prédominent l'amour du Savoir(avec un grand S) et la quête des connaissances objectives et désintéressées. Or, il s'agit en fait, pour reprendre l'expression de Thomas Kuhn, de la science normale. Qu'est-ce qu'au fait une science normale? C'est un domaine spécifique où les comportements des membres de la communauté scientifiques sont préalablement déterminés et où les connaissances sont produites selon un paradigme, un ensemble d'outils intellectuels qui sont déjà disponibles et qui fournissent des règles et des hypothèses aux scientifiques pour sélectionner tels faits et tels problèmes qui sont susceptibles d'avoir de telles solutions. Par exemple, dans les sciences les plus mathématiques, les regards des chercheurs se tournent volontiers vers des domaines où il sera possible de dégager des constantes physiques facilement mesurables et mathématiquement modélisables. Le paradigme est une sorte de boîte noire, un prêt à penser qui fournit aux chercheurs et scientifiques la clé de leurs travaux et les solutions à atteindre. Kuhn définit le paradigme comme une matrice disciplinaire comprenant « les solutions concrètes de problèmes que les étudiants rencontrent, dès le début de leur formation scientifique, soit dans les travaux de laboratoires, soit comme sujets d'examen, soit à la fin des chapitres dans les manuels scientifiques »(Thomas Kuhn, la structure de la Révolution scientifique, Flammarion, collection champ, 1983.p.254). Au début de leurs études, les physiciens commencent à se familiariser avec certains problèmes: plan incliné, pendule conique, les orbites de Kepler, l'usage des mêmes instruments comme le vernier, le calorimètre et le pont de Wheatstone.(idem).

 

On peut rapprocher le concept de paradigme de Kuhn d'une idée assez semblable exprimée en 1904 par Ernst Mach quand il écrit « la science se propose de remplacer et d'épargner les expériences à l'aide de la copie et de la figuration des faits dans la pensée... la communication de la science par l'enseignement a pour but d'épargner certaines expériences à un individu en lui transmettant celles d'un autre individu; ce sont même les expériences des générations entières qui sont transmises aux générations suivantes par les livres accumulées dans des bibliothèques et qui leur sont épargnées »(Ernst Mach, la mécanique, librairie scientifique A. Hermann, 1904, réimpression Éditions Jacques Gabay, 1987.p.449)

 

Aujourd'hui, les travaux de Bruno Latour sur la vie de laboratoires nous donnent une idée assez précise sur la façon dont fonctionne la science et dont s'est constituée la littérature scientifique. Latour montre à travers des exemples que la science n'est que de la rhétorique et il n'y a aucune différence entre les techniques de la rhétorique et les techniques de la rédaction des articles scientifiques. L'homme de science fait appel à l'argument d'autorité, au prestige et au statut de ses alliés dans le texte et met en oeuvre des tactiques spécifiques pour positionner ses arguments en empilant le maximum de références, de tableaux, de chiffres, de symboles et cela dans le but de donner à son article le label de scientifique et de le rendre irréfutable. Pour Latour, l'adjectif »scientifique » ne signifie pas grande chose et si elle signifie quelque chose, ce sera de la rhétorique pure, car « la science est une rhétorique si puissante qu'elle permet à un homme, si nous faisons le compte, d'être plus fort que 2000 autorités prestigieuses »(la science en action, éditions la découverte,2005.p.85) La science produit seulement de la littérature au sens péjoratif du terme, c'est-à-dire un recyclage permanent de ce qui a été dit il y a quelques siècles à une époque où les problèmes de la science étaient ceux de la philosophie et où la part du raisonnement philosophique était prépondérante dans le questionnement scientifique. Du point de vue épistémologique, les travaux récompensés en physique, en chimie, en médecine et en économie n'ajoutent rien aux savoirs déjà existants et actuellement disponibles sur l'homme et la nature.

 

Le discours obscurantiste de la fondation Nobel qui prétend récompenser des scientifiques ayant contribué aux bienfaits de l'humanité cache mal les véritables enjeux de la science qui sont à la fois économiques, politiques et idéologiques. la science et les institutions scientifiques sont étroitement imbriquées dans des rapports sociaux et subissent les pressions des intérêts privés et étatiques. La science n'est pas une organisation charitable et philanthropique qui travaille pour les bienfaits de l'humanité comme semble l'admettre la fondation Nobel. La communauté scientifique est un groupe social comme les autres groupes sociaux dont les membres se soucient plus de leur plan de carrière, de leur crédibilité et de leur statut que de science, de connaissances et de charité. Les prétendus intérêts cognitifs, l'amour de la science, la recherche de l'objectivité scientifique et le prétendu salut de l'humanité sont donc de la tarte à la crème. Les savoirs des laboratoires n'ont que faire du bien-être des hommes; ils sont produits essentiellement pour l'industrie civile et militaire, pour les laboratoires pharmaceutiques et pour les sociétés multinationales pour maximiser leurs profits. Les domaines de prédilection de la science sont ceux liés aux besoins de l'industrie comme l'industrie nucléaire(en France, George Charpak, prix Nobel de physique en 1992 avait sa propre société qui travaillait pour la COGEMA) celle destinée à renforcer le contrôle des Etats sur les sociétés devenues de plus en plus policières et placées désormais sous haute surveillance grâce à la nanotechnologie.

Encourager la science à faire encore plus de progrès, cela nous conduit à se demander sur quelle planète vivent les exécuteurs testamentaires d'Alfred Nobel. Si les différentes institutions scientifiques suédoises avaient réellement en vue les bienfaits de l'humanité, elles s'abstiendraient d'encourager la science et la technique qui ont déjà derrière elles un lourd passé génocidaire depuis la découverte de la dynamite, les millions de morts de deux guerres mondiales et les centaines de milliers de morts d'Hiroshima et de Nagasaki victimes de l'arme atomique sans parler de leurs effets destructeurs sur l'environnement, sur l'homme et le milieu naturel. La science et la technique sont parvenues à un tel niveau de progrès qu'il serait suicidaire de pousser encore davantage vers leur amélioration en sachant que tout nouveau progrès sera vite récupéré et par les États pour renforcer encore un peu plus leurs politiques policières et sécuritaires, par les entreprises privées et par les multinationales. L'humanité n'en tirera quant à elle aucun profit. Si la fondation Nobel et les institutions scientifiques qui lui sont rattachées avaient un minimum d'esprit logique, pour ne pas dire d'esprit critique, elles constateraient d'elles-mêmes que le vrai problème qui est posé aujourd'hui n'est pas celui de plus de progrès de la science et de la technique mais l'appropriation et la diffusion à grande échelle de tous les savoirs accumulés depuis des siècles pour mieux les orienter vers la satisfaction des vrais besoins humains à savoir la nourriture, l'eau et la lutte contre les maladies.

 

PRIX NOBEL ET LA BIOLOGIE POLITIQUE

 

En opérant un retour sur l'histoire de la fondation Nobel, on découvre plusieurs lauréats de physique et de médecine qui étaient soit des propagandistes zélés de l'eugénisme soit des acteurs dans la mise en place des législations eugénistes aux USA et en Europe tout au long du XXe siècle. Il y avait des scientifiques eugénistes même en URSS mais ils ont été combattus et finalement éliminés par le stalinisme et le lyssenkisme. Les amoureux des droits de l'Homme en Union soviétique n'ont jamais souligné ce point positif de Staline et du stalinisme, de la lutte contre l'eugénisme et ses propagandistes dans le pays des Soviets. Alors qu'en même temps se mettaient en place dans toutes les démocraties occidentales et à leur tête la plus grande démocratie du monde, les USA, des lois eugénistes visant à éliminer tout ce qui était faible et différent. La Suède, la terre natale d'Alfred Nobel, était à la pointe des législations eugénistes puisque une première loi relative à la stérilisation des malades mentaux et physiques et des femmes avait été votée en 1934 et une seconde loi en 1941. Entre 1935 et 1949, il y eut dans ce pays 15 486 personnes stérilisées(12 108 femmes et 3 378 hommes), soit un taux de stérilisation bien plus élevé qu'aux États-unis(compte tenu de la population suédoise). Les statistiques établies depuis montrent qu'il y eut entre 1935 et 1976 environ 60 000 stérilisations en Suède dont les trois quarts datent de l'après-guère. La Suède est le pays le plus stérilisateur du monde proportionnellement au nombre de sa population. Certes, les idées eugénistes en Suède n'explique pas tout dans les critères d'attribution des prix Nobel à des scientifiques eugénistes, mais l'eugénisme était dans l'air du temps et il était l'idéologie taillée sur mesure pour la couche intellectuelle de tous les pays du monde puisque les intellectuels croyaient et continuent à croire à la méritocratie et se considèrent eux-mêmes comme issus d'un long processus de sélection naturelle. Il n'est d'ailleurs pas étonnant de voir des grands scientifiques et même des grands philosophes comme Martin Heidegger sombrer dans les délires des idéologies aussi simplistes mais d'inspiration eugéniste comme le nazisme, le fascisme et le libéralisme actuel, des idéologies qui prétendent expliquer les problèmes des sociétés avec les lois de la biologie et avec des idées qui ont l'apparence du vrai mais pour peu que l'on les soumette à l'examen critique, elles se révèlent au fond toutes fausses.

 

Cela dit, c'est aux États-unis que l'eugénisme était le plus répandu et plusieurs prix Nobel en étaient les fervents propagandistes. La première loi eugéniste sur la stérilisation eugéniste fut adoptée par l'Indiana en 1907. Par la suite, plusieurs États américains ont suivi l'exemple de l'Indiana en votant des lois sur la stérilisation comme l'État de Washington et ceux du Connecticut, de la Californie en 1909, du Nevada et de l'Iowa en 1911, du Kansas, du Wisconsin et du Dakota du Nord en 1913 etc. En 1950, 33 États possédaient de telles lois. Toutes ces lois visaient à purifier la société américaine de tout ce qui était différent mentalement et physiquement, les maladies héréditaires ou supposées telles, les maladies mentales, déficiences intellectuelles, troubles comportementaux, alcooliques, délinquants, criminels etc.

 

Plusieurs associations et institutions scientifiques faisaient une propagande active pour l'eugénisme et pour le vote des lois eugénistes. Elles étaient aidées et financées en général par des institutions philanthropiques et des richissimes hommes d'affaires. La principale institution scientifique eugéniste aux USA fut la Station for the Experimental Study of Evolution de Cold Spring Harbor créée en 1904 par le généticien américain Charles Davenport, partisan de la biométrie de Galton et de Pearson et financée par l'institution Carnegie(une fondation philanthropique créée par Andrew Carnegie qui avait fait fortune dans l'acier). Cette institution était animée par des scientifiques eugénistes et elle a été même dirigée à un certain moment jusqu'en 1962 par les deux prix Nobel, James Watson et F. Crick pour la découverte de l'ADN. John Rockfeller Jr avait participé lui-même au financement de l'Association américaine d'eugénisme.

 

Une autre institution scientifique, le Pioneer Fund, avait été fondée par un sympathisant du nazisme, Laughlin et financée par le milliardaire du textile Wickliffe Draper pour mener des recherches sur l'hérédité de l'intelligence et le rapport ente race et intelligence. Parmi les protégés du Pionner Fund figurait le prix Nobel de Physique William Shockley qui avait reconnu avoir fait don de son sperme à une banque fondée par un autre prix Nobel 1946, Muller et financée par un autre milliardaire, R.Graham. Ce même Shockley, prix Nobel de physique en 1956 a préconisé la stérilisation des individus de faible QI.A titre anecdotique, le commerce des spermatozoïdes nobélisés est florissant aux USA où il existe une institution privée spécialisée dans la collecte et la conservation du sperme des prix Nobel qui est censé donner, par insémination artificielle, des enfants ayant des talents « supérieurs » et en particulier un QI élevé. Comme quoi, les prix Nobel croient dur comme fer que leur prix Nobel était la preuve de leur supériorité intellectuelle déterminée par la loi de la biologie.

 

A l'instar de l'Institution Carnegie aux USA, c'est la fondation Rockfeller qui était le principal bailleur de fonds des institutions scientifiques européennes chargées de propager l'eugénisme sur le vieux continent. Dans les années 1920, le responsable des bourses européennes à la Fondation Rockfeller était le psychologue américain Edwin Embtree qui écrivit l'introduction d'un ouvrage collectif auquel participaient plusieurs prix Nobel ou futurs prix Nobel, entre autre, Alexis Carrel(prix Nobel de médecince1912), C.S.Sherrington(prix Nobel de médecine 1932), et R.A. Milikan(prix Nobel de physique 1923). Dans cette introduction il est question d'hérédité et de contrôle de l'évolution de la race.

 

En France, la Société française d'eugénisme était financée par la Fondation Rockfeller au sein de laquelle Alexis Carrel, prix Nobel de médecine en 1912, avait fait toute sa carrière(de 1906 à 1938). Sous Vichy, Carrel créa la « Fondation française pour l'étude des problèmes humains » conformément à un projet qu'il voulait mettre en oeuvre à la fondation Rockfeller à l'époque où il travaillait aux USA. Mme Carrel militait dans le mouvement d'extrême droite, les Croix-de-feu du colonel de La Roque et Alexis Carrel était sympathisant de ce même mouvement.

 

Après la Seconde Guerre mondiale, on a jugé les nazis pour l'extermination des Juifs mais personne n'a trouvé quelque chose à dire sur les centaines de milliers d'hommes et de femmes stérilisés et envoyés dans les camps de la mort, euthanasiés et même gazés en vertu des lois eugénistes qui étaient en vigueur aux USA, en Allemagne et dans certains pays européens. D'ailleurs, l'Allemagne nazie n'a fait qu'importer les lois eugénistes qui étaient appliquées dans plus d'une trentaine d'Etats américains. Les victimes des lois eugénistes et l'extermination des tziganes ont eu droit à leur propre Auschwitz mais ils n'ont eu droit ni à un procès Nuremberg ni à une cour pénale spéciale pour juger les auteurs des lois eugénistes en Amérique et en Europe au nom de la théorie de la sélection naturelle qui préconise l'épuration ethnique(les tziganes) et sociale(les malades mentaux et physiques, les tarés, les bons à rien etc). Les regards se sont focalisés seulement sur l'extermination des Juifs alors que les victimes de l'eugénisme sont tombées dans les oubliettes de l'histoire où personne ne sait plus aujourd'hui qui elles étaient, quels étaient leur noms, leurs visages, leurs origines, leurs pays. Par malchance, les victimes de l'eugénisme n'ont eu ni les médias ni les bons avocats pour les défendre en recherchant leurs bourreaux pour être punis des crimes dont ils s'étaient rendus coupables.

 

Non seulement, les scientifiques adeptes de l'eugénisme et les politiciens qui ont voté des lois eugénistes durant les années vingt et trente du XXe siècle n'ont à aucun moment été inquiétés mais l'eugénisme a resurgi après la fin de la Seconde Guerre mondiale, a refait peau neuve et a continué d'agir sous d'autres formes comme si de rien n'était. La preuve que l'eugénisme et ses adeptes étaient restés toujours vivants et actifs, c'est que l'on trouve nulle part dans la déclaration des droits de l'Homme de 1948 une allusion à cette idéologie ségrégationniste et génocidaire qui était aussi dangereuse que le nazisme et le fascisme du fait de ses caractères invisibles et insidieux, comme s'il existait un consensus entre les membres de la communauté internationale pour faire silence sur la question. La preuve que les idées eugénistes n'étaient pas mortes mais elles étaient vivantes et influentes, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la nomination en 1946 à la tête de l'UNESCO, d'un ardent défenseur de l'eugénisme, Julian Huxley et l'attribution la même année du prix Nobel de médecine à un autre eugéniste, Hermann Muller. Durant les années 1960 et 1970, l'eugénisme et le darwinisme social ont retrouvé une nouvelle jeunesse à juger par l'attribution du prix Nobel de médecine en 1960 à un partisan de la sociologie darwinienne, Franck Macfarlane Burnet et à deux autres partisans de l'eugénisme, Francis Crick(prix Nobel de médecine 1962) et James.D.Watson(prix Nobel de médecine 1962).

 

si l'on veut comprendre le sens des chamailleries idéologiques des prix Nobel, adeptes de ce genre d'idéologies simplistes mais dangereuses et démagogiques, la clé de l'explication se trouve dans la nature même de la science. Car la science étant un système logique a une vision statique et positiviste de la réalité sociale et humaine, laquelle, bien au contraire, est fondamentalement dialectique et contradictoire. Quand la science parle ou se réfère au réel, elle n'a pas affaire au réel lui-même dans toute son épaisseur mais à une image schématique de ce réel représenté par coller aux règles et aux schémas purement logiques. La science, c'est l'univers du discours clos qui empêche de voir l'autre face cachée de la réalité sociale et humaine qui n'est ni schématique ni simple à appréhender du premier coup. La science ne peut voir les éléments négatifs qui contredisent le positivisme ambiant que professe l'approche scientifique. C'est pourquoi la science a tout fait pour évincer la philosophie de sa route, car elle refuse d'être démasquée et jugée par une méthode de raisonnement philosophique qui cherche, qui fouille et qui tourne et retourne mille fois les faits, les problèmes et les questions pour en dégager la logique intrinsèque. On comprend pourquoi les responsables de la politique éducative ont réduit à néant le cours de philosophie dans l'enseignement secondaire dans le but d'étouffer dans l'oeuf tout développement de l'esprit critique parmi les populations scolarisées. A la place de la philosophie, les décideurs de la politique éducative ont préféré introduire la science et ses méthodes figées et stéréotypées qui habituent l'esprit humain à la paresse intellectuelle et qui sont de nature à réduire au minimum la faculté critique des citoyens, ce qui aura pour objectif de conjurer toute menace sur l'ordre établi.

 

MILTON FRIEDMAN, PRIX NOBEL DE L'ECONOMIE(1976), OU LE RETOUR DU DARWINISME SOCIAL

 

En 1976, le prix Nobel de l'économie a été attribué à Milton Friedman. Le lecteur va se demander en quoi cet homme est responsable du retour du darwinisme social. Il est vrai que la théorie monétariste ne présente à première vue aucun rapport avec le darwinisme. Nous répondons que c'est là que réside la dangerosité d'une idéologie quand elle est invisible et enrobée par des idées qui paraissent dès prime abord inoffensives socialement et politiquement. Mais il suffit d'aller un peu plus loin au fond des choses en examinant la théorie monétariste de Milton Friedman qui a inspiré les politiques libérales actuelles. En regardant à la loupe lle noyau central de cette théorie, on se rend vite compte que le libéralisme de Friedman est la version acteulle du premier âge du darwinisme social, c'est-à-dire la période située entre la parution de l'Origine des espèces de Darwin en 1859 et l'apparition de l'eugénisme en 1883 date de l'invention du terme eugénisme par Galton, le cousin de Darwin. Les « modernes » et ceux qui fanfaronnent à longueur de journée pour réformer et aller plus vite dans les réformes libérales préconisent en réalité un retour à la période du laisser faire du capitalisme et à l'idéologie qui le légitimait, le darwinisme social et son concept central, la sélection naturelle. Car, il faut bien voir que le nerf central de la théorie monétariste, ce n'est pas vraiment qu'il y ait trop de monnaie en circulation qui entraîne inflation et donc chômage. La question de la monnaie est un prétexte et contrairement aux apparences, malgré son caractère d'instrument d'échange et de circulation, la monnaie n'est pas au fond un pur fait économique mais elle est un élément parmi d'autres éléments qui concourent au fonctionnement et à la reproduction du système capitaliste qui n'est nullement réductible aux seules opérations d'échange de la monnaie et des marchandises. Milton Friedman et ses acolytes rendent l'État responsable de l'inflation et donc du chômage et la solution consiste à limiter son tervention de l'économie pour rétablir, disent-ils, la concurrence. Mais les économistes, même ceux qui sont les plus nuls, savant pertinemment que la concurrence n'a jamais existé et si elle a existé un moment ou un autre existé, elle ne l'a été que dans l'imaginaire de quelques économistes classiques. L'économie nationale et mondiale est dominée par quelques sociétés multinationales qui sont partout et nulle part. Dans ce cas là, on a affaire non pas à un marché et à une concurrence ou à une concurrence parfaite et non faussée selon les termes du projet constitutionnel européen, mais à des monopoles et des oligopoles dont François Perroux a décrit d'une façon lumineuse les mécanismes et la logique de fonctionnement dans « le dialogue des monopoles et des nations » PUG, 1982.

 

la visée essentielle dans la théorie monétariste de Milton Friedmann, ce ne sont ni la monnaie ni l'État en lui-même qui est, bien au contraire nécessaire pour maintenir par la force l'ordre capitaliste, mais le système de sécurité sociale qui entrave le jeu de la sélection naturelle et qui empêche par conséquent, la lutte, la concurrence et la compétition entre ceux qui se trouvent au bas de l'échelle sociale. Ce qui est réellement en jeu dans tout ce tintamarre médiatique et académique sur les bienfaits du libéralisme, c'est en fait le démantèlement de tout le dispositif qui a été mis en place depuis la fin du XIXe siècle pour sécuriser matériellement et psychologiquement les salariés quand on sait que la vie d'un salarié dépend uniquement de son salaire pour vivre et quand il n'a plus ce seul moyen de vie, ce sera la galère et l'insécurité permanente psychologique et matérielle. C'est cette insécurité qui entraîne la lutte pour l'existence et la guerre de tous contre tous chère à Thomas Hobbes et non pas les passions et l'instinct guerrier. C'est en faisant naître cette insécurité permanente matérielle et psychologique dans le monde du travail et en cassant son moral que la classe capitalistes a réussi à domestiquer les différentes fractions des classes dominées de la société . Et c'est aussi ce lumpenprolétariat formé d'une armée de réserve de travailleurs précaires et domestiqués psychologiquement et économiquement qui a contribué dans un premier temps à restaurer les profits de la classe capitaliste quitte à s'emparer ensuite des différents rouages de l'Etat, notamment ses appareils idéologiques pour propagande(radio, télévision journaux grand tirage) contre le système d'assistanat, contre les assistés, les bons à rien, les Rmistes fraudeurs, les profiteurs des avantages sociaux, les nantis profiteurs des régimes spéciaux etc. prélude au démantèlement de l'Etat providence et sa tête de turc, le système de sécurité sociale. Quand on parle de système de sécurité sociale, il faudra entendre par ces termes, non pas seulement le système des retraites et d'assurance sociale mais aussi et surtout toutes les lois protectrices des salariés qui les protégeaient de l'arbitraire et de la surexploitation capitaliste dans les entreprises. Car le démantèlement du droit du travail entraîne à son tour la précarité dans le travail et sa contrepartie, la peur et l'instabilité psychologiques, source de passivité et de soumission. Un homme soumis en permanence à la peur est paralysé et il se laisse facilement manipuler et exploiter. C'est aussi cette lutte pour la survie qui pousse l'individu apeuré à prendre pour ennemi non pas celui qui l'exploite et qui l'humilie mais son voisin, son camarade de travail et en général tous les gens qui se retrouvent dans la même situation de précarité que lui et qui luttent, eux aussi, comme lui, pour leur survie biologique. Quand on pense à sa seule survie biologique, on a du mal à penser aux autres, à la solidarité et à l'union des forces qui ont permis au monde du travail d'arracher ses droits sociaux. A quoi a-t-elle donc servi cette lutte séculaire du monde du travail si c'est pour revenir à la case départ, c'est-à-dire à la loi de la jungle capitaliste légitimée par le darwinisme social ? En attribuant en 1976, le prix Nobel de l'économie à Milton Friedmann, la fondation Nobel a favorisé comme jadis les lois criminelles eugénistes des années vingt et tente du XXe siècle, le retour en force du darwinisme social dont les politiques libérales rétrogrades de la fin du XXe et début du XXIe siècle sont l'expression achevée.

 

En guise de conclusion, le plus grand service que la fondation Nobel puisse rendre à l'humanité, ce sera d'attribuer des prix Nobel à des travaux allant à l'encontre du paradigme scientiste dominant de notre époque qui, vu l'ampleur des dégâts entraînés par les progrès de la techno-science, a précipité l'humanité dans un gouffre dont elle ne sortira pas indemne. Et ce n'est sûrement pas en utilisant de la gadgetterie médiatique illustrée par le prix Nobel de la paix discerné à Al Gore et au panel de l'ONU que la terre sera sauvée d'une mort annoncée. Pour sauver la planète, il faut des hommes nouveaux qui mettent en oeuvre des politiques nouvelles visant à démanteler à terme les institutions de la science normale(pour employer l'expression de Thomas Kuhn) afin de casser les reins d'une machine productiviste qui ne profite finalement qu'aux États pour renforcer leurs dispositifs policiers et répressifs, à quelques sociétés multinationales et à une poignée de capitalistes. La première mesure concrète à prendre sera celle visant à abolir le système de protection de la propriété intellectuelle pour que l'énorme masse de connaissances accumulée depuis des siècles cesse d'être la propriété privée de quelques uns et pour qu'elle redevienne la propriété collective de tous les hommes et le patrimoine commun de toute l'humanité.

 

FAOUZI ELMIR

 

Mots clés : Nobel, science, biologie, eugénisme, darwinisme social

 

 

 

 

Publié dans science

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