IMPERIALISME EN ACTION
IMPERIALISME EN ACTION
(DEUXIEME PARTIE, PART II)
The first part of articles dealing with the question of imperialism tried to definite the main features and the historical conditions of rise of imperialism. The current article is concerned with the imperialism in motion, territorial expansion, formation of monopoly and capital exportation.
Dans la première partie de notre série d’articles consacrée à l’impérialisme, nous avons essayé de définir les principaux caractères de l’impérialisme et les conditions historiques de son émergence. Dans cette deuxième partie, nous nous intéressons à l’aspect dynamique de l’impérialisme à travers l’expansion territoriale, la formation des monopoles et l’exportation du capital.
A) EXPANSION TERRITORIALE.
Dès la fin des années 1870, la Grande-Bretagne mena une politique active d’acquisition de nouveaux territoires en Afrique et en Asie. En l’espace d’une génération, elle avait annexé 2,4 millions de mètres carrés et environ 88 millions d’habitants qui venaient s’ajouter à l’empire britannique composé en 1900, de 50 colonies étendues sur une superficie estimée à 7 millions de mètres carrés et une population de 400 à 420 millions dont 50 millions seulement originaires de la métropole ou parlant la langue anglaise. Outre ses possessions en Afrique noire, la Grande-Bretagne possédait des territoires en Asie, entre autres, l’Ile de Fidji conquise en 1874, Hong Kong en 1898, la Birmanie, la Nouvelle-Guinée, les États malais, Bornéo, le Kashmir et l’extension de ses zones d’influence jusqu’au district de Waziristân.
Sa rivale, la France avait déjà conquis sous le Second Empire les provinces méridionales du Vietnam (1860, 1862, 1867), le Tonkin et le Laos. À son empire colonial, venaient s’ajouter le Sénégal, le Sahara et la Tunisie placée en 1881 sous le régime du protectorat. La superficie des nouveaux territoires conquis représentait environ 1,8 million de mètres carrés et une population estimée à 37 millions d’habitants située principalement dans les régions tropicales et subtropicales. Au début du XXe siècle, l’empire français était composé de 33 colonies étendues sur une superficie de 2 millions de mètres carrés et 56 401 860 habitants.
Les autres pays européens n’étaient pas en reste. En 1884, Bismarck décida de mener une politique d’acquisition de territoires en Afrique avec l’annexion dans une période de 15 ans, d’un million de mètres carrés et une population de 14 millions d’habitants. Après l’échec de ses expéditions en Abyssinie (l’Ethiopie), l’Italie avait réussi à occuper de minuscules territoires en Afrique de l’Est, le territoire nord de l’Erythrée et la Somalie. Le Portugal et la Belgique entrèrent à leur tour dans la compétition avec l’annexion d’une grande partie de l’Angola et de la côte congolaise par le premier et la formation de l’État libre du Congo proclamé par le roi de Belgique Léopold II en 1883 par la seconde. Les Néerlandais se contentèrent de leurs colonies indiennes et l’empire russe, du Caucase. Durant les dernières années du XIXe siècle, le Japon avait annexé l’ile de Formose (Taiwan), les plaines de Mandchourie, Sakhaline, les Kouriles et quelques îles du Pacifique. Mais l’expansion territoriale japonaise était restée confinée sur ses frontières asiatiques. Après avoir évincé l’Espagne de Cuba, de Porto Rico et des Philippines, les USA annexèrent l’île de Hawaï et imposèrent leur domination commerciale sur les iles pacifiques et la côte asiatique.
Dans toutes ces conquêtes, c’est l’Afrique qui a le plus souffert des convoitises des pays capitalistes qui, en un quart de siècle de 1876 à 1900, l’ont occupé à 90,4% contre 10,8% en 1876, soit une augmentation de 79,6%. En 1914, quatre puissances coloniales contrôlaient à elles seules 14,1 millions de mètres carrés, soit deux fois la superficie de l’Europe et une population d’environ 500 millions d’habitants.
B) FORMATION DES MONOPOLES
Les premiers monopoles formés dans l’industrie et les banques remontent aux années 1860-1870. C’est surtout durant la décennie 1880-1900, suite à une grave crise économique connue sous le nom de la Longue Dépression, que le mouvement de concentration prend de l’ampleur et devient un phénomène général dans tous les pays capitalistes. Les trusts et les cartels présentaient pour les capitalistes deux grands avantages: la réduction de la part du capital investi et l’augmentation corollaire du taux de profit d’une part ou l’augmentation des profits en augmentant les prix ou en réduisant les coûts de production des matières premières d’autre part. Les cartels pouvaient également dominer toute une branche d’activité en contrôlant en amont le prix de vente, le terme de paiement et le volume de la production. Grâce aux profits engrangés dans un secteur économique, les cartels devenaient capables de mettre sous leur houlette les secteurs vitaux de l’économie d’ un pays. Par exemple, après avoir contrôlé le secteur de l’acier, les cartels allaient vers d’autres secteurs nécessaires à l’industrie de base: le charbon, la sidérurgie, le sucre, les chemins de fer, l’or, le diamant etc. C’est essentiellement dans les domaines de l’énergie et des matières premières que se formaient les premiers cartels.
Pour donner un aperçu général du rôle des monopoles dans les économies des pays capitalistes à la fin du XIXe sicle et au début du XXe siècle, il faut rappeler que certains cartels ou trusts pouvaient parfois concentrer entre leurs mains jusqu’à 8/10 de la production totale dans certaines branches d’activité et parfois 95,4% comme ce fut le cas du charbon avec le consortium Rhine-Westphalie du charbon créé en 1910 ou dans l’industrie chimique avec Meister à Höcht, Cassela à Francfort sur Maine et Bayer à Eberfield. Le marché de l’industrie électrique allemande était contrôlé vers 1900 par 7 ou 8 groupes, chaque groupe contrôlant des dizaines de sociétés et appuyé par 2 à 11 banques. Entre 1908 et 1912, ces groupes fusionnèrent pour ne former qu’un ou deux groupes. En 1896, il y avait en Allemagne 250 cartels et 385 en 1905 contrôlant 12000 entreprises. En 1907, 586 établissements allemands employaient plus de 1000 salariés soit le 1/10e des effectifs de l’industrie. Sur les 3 265 623 entreprises allemandes, 30588 entreprises, soit 0,9%, employaient à elles seules 5,7millions de salariés sur un effectif total de 14,4 millions de salariés.
Aux USA, on retrouve la même tendance avec 185 cartels en 1900, et 250 en 1907 contrôlant les secteurs du charbon, de l’acier, du ciment et du potassium, de l’industrie des moteurs à vapeur et de l’électricité. En 1904, sur 216180 entreprises, 1900 entreprises, soit 0,9%, employaient 1,4 million de salariés sur un effectif total de 5,5 millions de salariés. Cinq ans plus tard, en 1909, 3060 entreprises sur 268491, soit 1,1%, employaient 2 millions de salariés sur un effectif total de 6 millions de salariés. Chaque branche d’industrie était contrôlée par une douzaine d’entreprises qui assuraient à leurs membres un maximum de profits par la maîtrise parfaite des quantités produites, des coûts de production et des prix des matières premières.
Parallèlement à la concentration dans l’industrie, même mouvement similaire se produisit dans les banques. Au début du XXe siècle, le plus grand groupe bancaire allemand, la Deutsche Bank, possédait 30 banques de première importance, 48 banques de moindre importance et 6 autres banques. Parmi les banques de première importance, il y avait trois banques étrangères, une autrichienne et deux russes. Le groupe Deutsche Bank contrôlait au total 87 banques et son capital était estimé à trois milliards de marcs. En Angleterre, ce sont quatre grandes banques qui possédaient plus de 400 succursales chacune. En France, trois grandes banques dominaient la vie économique et financière: le Crédit Lyonnais, le Comptoir national et la Société Générale. Les deux plus grandes banques américaines appartenaient à deux milliardaires, Rockefeller et Morgan dont la fortune était estimée à onze milliards de dollars.
Avec les profits engrangés grâce à leur position monopolistique, les grandes banques allaient investir dans la grande industrie. L’entrée des banques dans l’industrie donna naissance au capital financier qui avait mis à contribution les techniques de l’ingénierie financière (holding et fusions acquisitions) pour prendre le contrôle d’un très grand nombre d’entreprises industrielles avec un apport initial très modeste en capitaux. Au début du XXe siècle, les six grandes banques de Berlin étaient représentées par leurs directeurs dans 751 sociétés industrielles et elles avaient plus de deux représentants dans 289 sociétés. Réciproquement, dans les conseils d’administration des banques berlinoises, siégeaient en 1910, 51 industriels dont le directeur de Krupp et celui de la puissante société Hapag (Hamburg- American Line). De 1895 à 1910, chacune de ces six banques avait des participations dans des centaines de sociétés industrielles(entre 281 et 419). Pour boucler la boucle, des politiciens étaient associés avec des industriels et des banquiers, puisqu’au sein des conseils d’administration des grandes banques siégeaient également des membres du Parlement et des conseillers de la ville de Berlin. L’Allemagne du début du XXe siècle était gouvernée par quelques trois cents magnats du grand capital. La situation n’était guère différente dans d’autres pays comme la France qui était dominée par quatre grandes banques au point de qualifier la République française de monarchie financière. Comme en Allemagne, le capital financier dominait également la presse, l’opinion et le gouvernement.
Après avoir mis en coupe réglée les Etats-nations et leurs marchés nationaux, le capital commençait à lorgner les marchés extérieurs à la recherche de nouveaux débouchés pour prospérer et se mettre en valeur. C’est l’exportation du capital à la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle qui a inauguré l’ère de la division du monde entre pays riches et pays pauvres et qui a causé la misère et le sous-développement dont souffrent actuellement 95% de l’humanité.
C) EXPORTATION DU CAPITAL ET DIVISION DU MONDE
La nécessité d’exporter du capital est née à la fois de la saturation des marchés domestiques, du manque de débouchés rentables pour les capitaux nationaux et du faible pouvoir d’achat des populations locales. Au lieu de servir à l’amélioration des conditions de vie des masses populaires dans les métropoles capitalistes, les profits amassés préféraient s’expatrier vers des pays dont les sous-sols regorgent des richesses naturelles. Il va sans dire que les terres promises et l’eldorado du capital ne pouvaient être que des régions riches en matières premières où les coûts du travail et de la production étaient les plus bas, les législations sociales inexistantes et les prix d’acquisition de la terre les moins chers. Comme nous l’avons vu, c’est le continent africain qui a fait les frais de la politique impérialiste des États capitalistes européens durant les deux dernières décennies du XIXe siècle et qui continue même aujourd’hui à payer un lourd tribut tant en vies humaines qu’en pillage de ses ressources naturelles.
Ce sont les banques et leurs succursales implantées dans les colonies qui ont facilité l’exportation du capital. En 1910, la Grande-Bretagne possédait dans ses 50 colonies, 50 banques et 2279 succursales, la France, 20 et 136 succursales, les Pays-Bas, 16 et 68 succursales, l’Allemagne 13 et 70 succursales. Les quatre grands pays capitalistes, l’Angleterre, la France, les USA et l’Allemagne, possédaient à eux seuls 479 milliards de francs, soit 80% de l’ensemble du capital financier mondial. Les capitaux anglais, français et allemands investis à l’étranger étaient respectivement de 75%, 60% et 44%. En 1915, le montant cumulé des capitaux exportés par l’Angleterre, l’Allemagne, la France, la Belgique et les Pays-Bas était de l’ordre de 40 milliards de dollars ou 200 milliards de francs. Cette somme était prêtée à des gouvernements à un taux d’intérêt moyen de 5% et rapportait 10 milliards de francs de profit par an. Ce sont donc les intérêts du prêt qui rapportaient le plus et non pas les profits générés par le commerce extérieur. En seize ans, entre 1882 et 1898, les investissements publics anglais dans les colonies dépassèrent les 800 millions de livres et le total des investissements publics et privés était passé de 600 millions de livres en 1872 à 1,698,000,000 de livres en 1893. Les capitaux anglais exportés représentaient en 1893, 15% du total des richesses nationales dont la moitié correspondait à des prêts accordés aux gouvernements étrangers et l’autre moitié investie dans les chemins de fer, les banques, les télégraphes, les terres et les mines. Les capitaux anglais étaient investis d’abord dans les colonies, puis aux USA et au Canada. Les capitaux français exportés estimés à 10 milliards de francs en 1869 et à 60 milliards de francs en 1914 étaient investis en Europe, dont un prêt d’un montant de dix milliards de francs accordé à la Russie tsariste. Les capitaux allemands exportés d’un montant de 12,5 milliards en 1902 et de 44 milliards en 1914 étaient partagés entre l’Europe et l’Amérique et une partie dans l’Afrique noire.
Bref, à l’orée du XXe siècle, rares les pays dans le monde qui ne fussent pas ou débiteurs ou tributaires d’une manière ou d’une autre des banques anglaises, françaises, américaines et allemandes appelées à l’époque les pilleurs des richesses des peuples. L’impérialisme français, à la différence de son concurrent anglais, était, selon Lénine, un impérialisme usuraire et Hobson qualifie l’économie impérialiste d’économie parasitaire, car elle est fondée essentiellement sur les spéculations financières et l’utilisation du mécanisme de prêt comme une arme politique dont se sert l’État créditeur pour contrôler un gouvernement débiteur. Cette pratique nous rappelle d’ailleurs la politique suivie de nos jours par les institutions financières internationales (Banque Mondiale, FMI etc.) qui lient l’octroi des prêts aux pays sous-développés à la mise en œuvre des politiques de libéralisation de leurs économies pour permettre aux sociétés multinationales de continuer à exploiter leurs richesses naturelles en toute liberté. Les puissances capitalistes et leurs banques de la fin du XIXe et du début du XXe siècle pratiquaient le même ostracisme visant à asphyxier financièrement les pays emprunteurs avant de les coloniser.
De 1895 à 1915, cinq banques anglaises et cinq banques allemandes ont investi 4 milliards de dollars au Brésil, en Argentine et en Uruguay. En contrepartie, 46% du commerce de ces trois pays se faisait avec les États d’où étaient originaires les banques prêteuses. Ce pourcentage élevé s’explique par le fait que l’octroi d’un prêt était soumis à des conditions contraignantes et à des clauses de réciprocité imposées par le prêteur à l’emprunteur notamment l’obligation d’acheter du matériel et des biens d’équipements militaires ou civils. Le pays emprunteur ne pouvait donc disposer librement du montant consenti soit pour répondre aux besoins urgents de ses propres populations soit pour servir au développement économique et social. Par exemple, pour la construction des chemins de fer brésiliens par une société privée à capitaux français, allemands et belges, certaines clauses du contrat prévoyaient l’achat du matériel ferroviaire aux pays d’origine des banques prêteuses. Le traité commercial du 16 septembre 1905 conclu entre la France et la Russie contenait des clauses stipulant certaines concessions allant jusqu’en 1917. Il en fit de même avec le traité commercial franco-japonais du 19 août 1911. C’est en effet grâce à ce genre de contrat léonin que Krupp en Allemagne, Schneider en France et Armstrong aux USA ont pu vendre leurs équipements industriels aux pays emprunteurs.
Si une partie des capitaux exportés était utilisée sous forme de prêts à des gouvernements étrangers pour faciliter la vente des produits de l’industrie lourde des pays capitalistes, l’autre partie était investie dans des secteurs bien déterminés. Disons-le tout de suite que les détenteurs des capitaux ont par définition leurs profits pour boussole, ils ne naviguent jamais à vue et ils ne choisissent jamais au hasard les branches d’activité dans lesquelles ils vont investir. Ce sont évidemment les richesses minérales et végétales des pays colonisés qui étaient les plus convoitées par les capitaux exportés.
Si l’Afrique noire est devenue la terre promise et l’eldorado des grandes puissances capitalistes et des capitaux exportés à la fin du XIXe siècle, c’est naturellement pour ses trois richesses minérales: l’or, le diamant et le cuivre et pour ses quatre richesses végétales: les produits du palmier à l’huile, le cacao, l’arachide et le coton. Plus tard, avec les pneus des voitures, était venu s’ajouter un cinquième produit, le caoutchouc sauvage. Avec la colonisation de la presque totalité de l’Afrique noire, c’est l’ensemble des ressources naturelles, minières et végétales de ce continent qui étaient tombées en l’espace de deux décennies entre les mains d’une poignée de capitalistes, personnes, sociétés privées ou banques avec parfois la participation des gouvernements dont sont originaires les capitaux exportés. Alors que le mot « ressource » renvoie à ce qui est utile à tous les hommes et le mot « naturelle » au milieu dont elle provient, les ressources naturelles d’un pays devraient logiquement rester la propriété des populations locales et exploitées dans le but de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des indigènes et non pas devenir la propriété privée et l’instrument d’enrichissement des personnes et des sociétés étrangères. C’est pourquoi le sous-développement des pays du Sud n’est pas une fatalité ou dû à des facteurs endogènes, culturels ou religieux; il a été et reste toujours le résultat d’une longue période d’exploitation et de pillage des ressources naturelles des pays et des territoires colonisés.
Quelques exemples nous montrent comment les immenses richesses minières et végétales de l’Afrique noire ont été pillées par quelques individus et sociétés capitalistes à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Lors de la conférence de Berlin de 1884, les principales puissances européennes décidèrent d’un commun accord de partager le continent africain en plusieurs zones. Chaque puissance occupante s’était attribué une zone à administrer comme bon lui semblait. Pour l’exploitation du sous-sol de sa zone, elle accordait des concessions à des personnes ou des sociétés privées. C’est ainsi que le gouvernement anglais était amené à accorder le 29 octobre 1889, à la British South Compagny dirigée alors par le célèbre financier et partisan de l’impérialisme, Cecil Rhodes (1853-1902), une charte en vertu de laquelle elle avait tous pouvoirs pour exploiter pendant vingt-cinq ans les ressources minières de l’Afrique du Sud et notamment les gisements diamantifères du Rand. Deux autres sociétés contrôlées totalement par Cecil Rhodes, la De Beers Consolidated Mining Compagny et la Gold Fields of South Africa Ltd, dominaient le marché du diamant dans les deux Rhodésie. En signe de reconnaissance à la famille royale britannique, Rhodes fit entrer dans le conseil d’administration de la Gold Fields of South Africa Ltd(devenue en 1892 la Consolidated Gold Fields of South Africa) certains de ses membres. Pour desservir les mines, la British South Africa Compagny créa sa propre société de chemin de fer, le Rhodesian Railway reliant Salisbury à Beira (Mozambique), les mines de charbon de Wankie(Rhodésie) à Livingstone(Zambie) et les mines de plomb et de zinc de Broken Hill(Rhodésie) aux mines de cuivre du Katanga. En 1894, une autre société de chemin de fer, la Netherlands South Africa Railway, avait été créée avec des capitaux hollandais, américains et portugais.
En Angola, un autre Anglais, Robert Williams fonda la Tanganyika Concessions Ltd en 1899, pour construire le Benguela Railway, une ligne de chemin de fer de 2300 km(1300 km en territoire angolais et 800 km en territoire congolais) pour relier le port angolais de Lobito aux mines du cuivre du Kantaga.
Au Congo, la colonie belge, une grande partie du réseau ferré achevée en 1919 avait été construite avec des capitaux privés qui en sont même aujourd’hui les propriétaires. Comme l’avait fait la Couronne britannique pour les sociétés anglaises dans ses colonies, Léopold II, roi de Belgique et fondateur de « l’État indépendant » accorda aux sociétés privées des concessions extrêmement étendues sur le sol et le sous-sol de sa colonie. Pour garantir les droits de propriété accordés par Léopold II aux sociétés financières privées, les Chambres belges avaient approuvé les 20 août et 9 septembre 1908, le traité de cession de « l’État indépendant du Congo ». À l’instar de la Grande-Bretagne, la Belgique avait confié à des sociétés privées la construction des chemins de fer. Trois sociétés s’étaient partagé ce marché: la Compagnie des Chemins de fer du Congo ou C.F.C, une société à capitaux belges, britanniques et allemands; la Compagnie des Chemins de fer du Congo supérieur aux Grands Lacs ou C.F.L, compagnie à charte créée par le banquier Empain; la Compagnie du Chemin de fer du Bas-Congo au Katanga ou B.C.k fondée en 1906 et financée par deux banques françaises: la Société Générale et la Banque de l’Union parisienne avec en plus l’attribution de « droits miniers » sur 21 millions d’hectares. Outre ces trois sociétés de chemins de fer, Léopold II avait attribué à des sociétés concessionnaires privées, comme la Compagnie du Congo belge qui avait le monopole du commerce du caoutchouc, à la compagnie du Kantaga, une compagnie à charte qui avait reçu en « pleine propriété » 15 millions d’hectares dans la province du Kantaga, à l’Union minière du Haut Katanga et à la Forminière.
Comme toujours, n’ayant ni frontières ni patrie, le capital financier de chaque puissance occupante ne restait jamais confiné dans les limites de la zone du pays dont il était originaire. Par exemple, le capital anglais était aussi fortement présent avec d’autres capitaux européens et américains au Congo belge dans la Tanganyika Concessions Ltd et les Huileries du Congo belge (H.C.B) créées par Lord Leverhulme, président de la société Lever Brothers Ltd. Le capital américain était présent dans la Forminière. Dans l’Angola portugaise, le capital anglais était également présent dans le Benguela Railway et le capital américain dans la Companhia de Diamantes de Angola ou Diamang fondée en 1917 pour exploiter les gisements du Kasaï. Au Mozambique, la Compagnie du Mozambique qui obtint en 1891, des droits souverains sur un territoire à peu près grand comme la France, s’étendant sur les districts de Sofala et Manica, était financée par des capitaux britanniques, sud-africains et allemands. La Compagnie du Zambèze chargée d’exploiter les terres fertiles du bas Zambèze était elle aussi financée par des capitaux britanniques, sud-africains, allemands et français. En résumé, au début du XXe siècle, c’est toute l’Afrique noire minière qui était devenue la propriété de quelques capitalistes qui continuent d’ailleurs même aujourd’hui à exploiter imperturbablement les anciennes colonies malgré leur accession à l’indépendance.
Les richesses minières de l’Afrique noire n’étaient pas le seul eldorado du capital financier. Celui-ci dominait aussi les principaux secteurs de l’économie européenne. Les champs pétrolifères de Bakou qui étaient contrôlés par deux groupes financiers américains, Rockfeller’s American Standard Oil & Co et Rothschild and Nobel étaient aussi convoités par d’autres groupes rivaux comme la firme russe Mantashev de Bakou, alliée à des groupes autrichien et roumain et au hollandais Samuel and Shell. Le domaine du transport maritime était dominé par deux groupes allemands, le Hambourg-Amerika et Norddeutscher Llyod qui étaient eux-mêmes concurrencés par the International Mercantile Marine Co. La production et la commercialisation du zinc étaient contrôlés par un consortium international du zinc créé en 1909, composé de cinq grands groupes allemand, belge, français, espagnol et anglais. The International Dynamite Trust groupait des entreprises allemandes, françaises et américaines. En 1897, l’Allemagne avait des participations dans 40 Cartels internationaux et dans une centaine en 1910. Les chemins de fer étaient contrôlés par the International Rail Cartel créé en 1904 avec des capitaux anglais (majoritaire 53,5%), allemand, belge et français et plus tard américain.
Avec l’exportation du capital, c’est vraiment l’ère de l’impérialisme qui commence. Il n’est pas exagéré de dire que, depuis le déploiement du capital financier à l’échelle planétaire, les États capitalistes n’ont que des intérêts géopolitiques et la géopolitique à l’âge de l’impérialisme n’est qu’un instrument d’accompagnement des stratégies internationales du grand capital pour la conservation des marchés existantes ou pour la conquête d’autres marchés. Quand les États mobilisent leurs armées et dépensent des milliards de dollars dans l’armement et les guerres, ils ne disent jamais à leurs opinions publiques que leurs entreprises guerrières ont pour seul but, la protection des intérêts du grand capital. Leurs guerres impérialistes sont toujours justifiées par des considérations morales pour ne pas dire moralisantes, humanitaires etphilanthropiques comme si la loi du profit se souciait du sort de l’humanité et du bonheur humain sur terre. Pour rompre l’isolement des USA, le président Roosevelt avait justifié sa décision, comme d’ailleurs Jules Ferry en France au XIXe, par « une mission civilisatrice », alors que la vraie raison était plutôt une crise économique généralisée due à la fois à la Longue Dépression qui avait entraîné la saturation du marché intérieur américain et à la pression des trusts et des cartels contrôlés alors par les Rockefeller, les Rothschild, les Pierpont Morgan, les Hanna, les Schwab etc. Les naïfs pensent également que l’entrée en guerre des Américains au côté des européens durant la Seconde Guerre mondiale, c’était par esprit altruiste alors qu’en grattant un peu la croûte, on découvre que ce sont encore et toujours les marchés de ce continent exsangue économiquement et humainement qui étaient convoités par les multinationales américaines et qui attendaient impatiemment pour venir y déverser leurs produits une fois la guerre terminée. Le plan Marshall était tout simplement l’instrument d’accompagnement des firmes multinationales américaines dans la mesure où l’argent injecté dans l’économie européenne allait revenir par le circuit des marchandises. Et ce n’est certainement pas Henry Kissinger, ancien Secrétaire d’État, qui va démentir cette arrière-pensée américaine quand il dit que les Etats-Unis n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. Voilà des propos qui ont le mérite de la clarté et tranche avec le traditionnel brouillage idéologique et le non-dit du discours politique.
On a tendance à penser que l’ère de l’impérialisme et du capital financier appartenait à un passé révolu. Bien au contraire, non seulement le grand capital et son instrument d’accompagnement les politiques impérialistes des États capitalistes sont les phénomènes marquants de notre temps mais, en plus, aucune espèce sur la surface de la terre, ni humaine, ni animale ni végétale, n’est épargnée par leurs effets destructeurs. Les réunions et les conférences à répétition sur le climat et les changements climatiques n’ont qu’un seul but, maquiller les effets destructeurs du déploiement du capital financier à l’échelle planétaire. Ceux qui pensent que nous vivons à une époque différente de celle d’il y a un siècle, nous leur demandons qu’ils aillent voir si ceux qui dominent aujourd’hui les mêmes qui dominaient les finances américaines du début du XXe siècle, à savoir les Rockefeller et les Morgan, avec Mellon etle groupe Cleveland. On pense aussi à tort que ceux qui nous gouvernent, ce sont les Etats dont les institutions sont légitimés par d’incessantes parodies électorales. Le rôle des Etats a été il y a un siècle d’accompagner la jeunesse du capital financier qui avait besoin en effet du bras séculier et armé des Etats-nations. Ce méga-pouvoir qu’est devenu aujourd’hui le capital financier avait en effet besoin des armées des États capitalistes et de leur politiqué expansionniste proclamée la première fois lors de la conférence de Berlin en 1884 et la deuxième fois par le traité de Versailles de 1919. Mais depuis que le capital financier a conquis le monde, il y a belle lurette que les États sont tombés sous la coupe de leurs banques et de leurs sociétés multinationales. Un seul exemple montre que les Etats sont totalement dominés par le grand capital est celui de la perte de contrôle de leurs politiques monétaires décidées par des banques centrales privées ou la Banque Centrale Européenne(BCE). Historiquement les Etats avaient été reconnus comme tels à cause de leur pouvoir financier et monétaire. Un Etat qui perd ce pouvoir n’est plus un Etat, il n’est que l’ombre de lui-même sans pouvoir réel. Il est réduit à gérer quotidiennement les faits divers, prendre des mesures contre les chiens Rottweiler qui ont perdu la grande-mère ou poursuivre les voleurs des scooter. Les Etats actuels sont obligés d’aller quémander leurs subsides quotidiennes auprès des banques commerciales pour financer leurs déficits publics. Alors que les États débiteurs sont sous perfusion (l’aveu de Fillon, premier ministre français est révélateur à cet égard de l’état de délabrement financier des États quand il a dit qu’il est à la tête d’un État en faillite), de l’autre côté le grand capital prospère puisque les quinze premières banques mondiales ont engrangé en 2003, 100 milliards de dollars de profits. Les actifs des dix premières banques mondiales s’élèvent aujourd’hui à quelque 9000 milliards de dollars et le capital des dix premières sociétés multinationales est estimé à quelque 2500 milliards de dollars. Cela revient à dire que la seule mission des États actuels consiste au fond à gérer seulement au mieux les intérêts du grand capital dont ils sont devenus entièrement dépendants. L’instrumentalisation des questions de la violence, de la délinquance, du terrorisme international, de l’immigration et l’envahissement de l’espace public par les faits divers(le mot est dérivé du mot divertir), sont autant de formes qui visent à cacher une réalité bien plus douloureuse et plus dramatique, celle de la misère sociale et de la misère économique engendrées par un quart de siècle de politiques économiques télécommandées par les intérêts du grand capital qui a n’a pas pu supporter la politique de redistribution des miettes de l’Etat-Providence.
En guise de conclusion, nous évoquons le rapport 2007 du SIPRI qui considère que les zones riches en pétrole et d’autres matières premières qui seront les principales sources des conflits armés dans le monde durant les vingt ans à venir. Pour ceux qui doutent encore de l’existence du phénomène impérialiste et de son rejeton naturel, le grand capital, nous leur posons deux questions: 1) Pourquoi le continent africain a-t-il a été si convoité par les puissances capitalistes européennes? 2) Pourquoi la région du Moyen-Orient est-elle devenue depuis la découverte des premiers puits du pétrole au début du XXe siècle, une zone de conflits armés permanents et l’enjeu de rivalités entre les grandes puissances capitalistes? À ceux qui cherchent désespérément à noyer le poisson, nous leur disons: ne soyez pas trop stupides. Les capitalistes européens et américains ne s’étaient pas aventurés en Afrique noire et au Moyen-Orient pour respirer l’air pur des régions tropicales et subtropicales et pour humecter l’air ensablé du désert. Ce qui les intéressait jadis et ce qui les intéresse aujourd’hui, ce sont les immenses richesses minières et végétales pour l’Afrique noire et les gigantesques réserves du pétrole pour le Moyen-Orient. Pourquoi le grand capital international ira-t-il chercher ailleurs son bonheur terrestre? Là-dessus, il n’y a pas photo!
FIN DE LA DEUXIEME PARTIE
Faouzi elmir